Fiora et le roi de France
demoiselle fut près d’elle, mi-inquiète mi-fâchée :
– Vous
n’y songez pas ! Il y a seulement deux jours que vous êtes accouchée...
– Et
alors ? Péronnelle m’a parlé, un jour, d’une paysanne de ses amies qui
avait ressenti les grandes douleurs alors qu’elle était en train de cueillir
des cerises. Elle a fait son enfant et, deux jours après, elle allait vendre
ses cerises au marché de Notre-Dame-la-Riche. Je ne crois pas être moins solide
qu’elle.
– Encore
un peu de patience ! Rien que deux ou trois jours ?
– Pas
même un seul ! Comprenez donc que je ne peux plus supporter cette maison à
présent... qu’elle est partie. Demain matin, nous reprendrons le chemin de chez
nous. La seule chose que je vous demande, à tous deux, c’est que la maison soit
rangée et que tout soit prêt à l’aube pour notre départ.
– Ce
ne sera pas bien long, fit Léonarde tristement. Bien peu de choses nous
appartiennent ici...
– Voulez-vous
vraiment partir, donna Fiora ? demanda Florent dont le regard bleu
scrutait le mince visage pâli et les yeux gris agrandis d’un cerne bleuté.
– C’est
ma mine qui ne vous plaît pas ? Je crois au contraire qu’elle sera de
circonstances, puisque je passe pour avoir contracté je ne sais quelle maladie.
Il serait désastreux de rentrer avec une mine prospère et des joues rebondies.
Chez nous, il me semble que j’aurai moins mal !
Réflexion
faite, Fiora décida que l’on partirait avant que le jour soit levé afin que nul
ne s’en aperçût, car elle n’avait aucune envie de changer de vêtements dans la
première forêt venue. Personne ne l’avait vue durant ce séjour de six mois et
elle estimait qu’il était bon qu’il en fût de même à présent. Tandis que
Florent, le léger bagage chargé, achevait de harnacher les mules, elle demanda
pourtant à Léonarde d’aller chercher le père Anicet.
Le
bonhomme s’était montré d’une exemplaire discrétion et, quand Fiora descendait
au jardin alors que lui-même s’y trouvait, il sifflait son chien et s’éloignait
en tournant le dos. La jeune femme entendait l’en remercier.
– Je
quitte cette maison, lui dit-elle, pour n’y plus jamais revenir. Vous ne me
reverrez donc plus, mais je désire avant de partir vous prouver ma gratitude
pour le silence et la solitude que vous m’avez permis de respecter.
Le
père Anicet regarda la mince silhouette noire, enveloppée d’un grand manteau
dont le capuchon doublé de renard fauve cachait la moitié du visage, puis les
cinq pièces d’or qu’une main gantée venait de déposer dans la sienne. Un court
instant, ses paupières aussi fripées que celles d’une tortue se relevèrent sur
des prunelles singulièrement vives pour un homme de cet âge :
– Je
ne vous ai jamais vue, dit-il enfin. Tenez-vous vraiment à ce que je me
souvienne que quelqu’un a habité cette maison ?
– Non.
Je préfère que vous l’oubliiez, mais un peu d’or n’a jamais nui à personne.
– C’est
juste ! Aussi, tout à l’heure, irai-je mettre un cierge à saint Leuffroy
pour le remercier de l’aubaine trouvée grâce à lui dans cette maison vide...
Et,
saluant gauchement mais serrant bien fort sa paume calleuse sur les pièces
brillantes, il sortit de la maison et descendit en chantonnant jusqu’au fleuve
pour y relever ses filets.
Un
quart d’heure plus tard, les trois voyageurs s’éloignaient à leur tour et s’engageaient
lentement sur l’étroit chemin bordant la Seine qu’ils allaient suivre jusqu’à
Meudon pour, de là, rejoindre sans entrer dans Paris la grande route d’Orléans.
Les croix du mont Valérien et les clochers de l’abbaye Saint-Leuffroy avaient
disparu derrière les arbres d’un bois épais quand le soleil, bondissant comme
un gros ballon rouge, s’élança dans le ciel gris et rose d’une aurore qui
annonçait du vent.
La
seule chose accordée par Fiora à Léonarde était que l’on n’irait pas trop vite.
La vieille demoiselle avait allégué pour cela ses rhumatismes que l’humidité
des jours derniers avait réveillés, sachant bien que, s’il n’était question que
de sa propre santé, la jeune femme leur imposerait un train d’enfer. Aussi la
journée était-elle avancée, trois jours plus tard, quand les voyageurs
aperçurent le lourd donjon quadrangulaire, le clocher de Beaugency et la haute
tour carrée de son abbatiale Notre-Dame.
Passée
l’enceinte fortifiée
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