Fiora et le roi de France
coffres contiennent toujours au moins cette
somme.
– C’est
donc parfait, mais ce n’est pas tout. Il me faut une robe !
– Une
robe ? fit l’autre sans cacher sa stupéfaction. C’est que je ne suis pas
tailleur...
– Sans
doute, mais vous connaissez bien cette ville et vous pourrez convaincre n’importe
quelle faiseuse de travailler pour moi cette nuit. Quant au tissu, je suis
persuadé qu’en bon Florentin vous devez en posséder un certain choix...
C’était
presque une tradition, en effet, chez les riches Florentins, de collectionner,
à côté des objets précieux de toutes sortes, des étoffes rares que l’on gardait
dans des coffres de santal ou de cèdre pour les exposer aux fenêtres les jours
de grandes fêtes ou y tailler, à l’occasion, un vêtement de cérémonie.
– Certes,
certes... mais pourquoi cette nuit ?
– Parce
que je ne désire pas m’attarder et que j’entends obtenir dès demain une
audience de la duchesse Marie...
– La
duchesse ? fit le banquier avec un petit sourire vaguement méprisant. Je
ne vois quel genre de faveur vous pourriez en obtenir. Sa puissance est autant
dire nulle ici où le Conseil de ville ne songe qu’à retrouver son indépendance,
comme Gand, Ypres et... les autres cités flamandes. Madame Marie et son époux
aiment à résider dans cette ville et à y donner des fêtes. Ils sont aimables et
entretiennent une atmosphère élégante et joyeuse, aussi aime-t-on assez les
voir ici. Cependant, nombreux sont ceux qui n’oublient pas la brutale férule du
Téméraire ni même la rudesse avec laquelle son père, le duc Philippe, a réprimé
les dernières révoltes. A présent, c’est la ville qui détient le pouvoir.
Décidément,
Portinari n’aimait pas la duchesse beaucoup plus que Fiora elle-même. Surtout,
la curiosité le dévorait, et c’était pour inciter la visiteuse aux confidences
qu’il venait de se livrer à ce long discours. En pure perte :
– Je
dois la voir pour une affaire d’ordre privé qui n’intéresse pas le pouvoir,
mais que j’estime urgente. Or, je ne saurais me présenter à la Cour vêtue comme
je suis...
– Il
vous serait, en effet, impossible d’obtenir une audience. Eh bien, si vous
voulez m’accompagner, je crois que nous allons pouvoir vous donner
satisfaction, mais...
– Y
a-t-il encore un « mais » ?
– Bien
modeste, croyez-le ! Consentiriez-vous à plaider ma cause auprès de
Monseigneur Lorenzo ? Il semble qu’il m’en veuille terriblement de ma
conduite durant les dernières guerres. Et puis... il y a toujours cette
malheureuse affaire du Jugement dernier pour laquelle, bien qu’innocent,
j’ai encouru sa colère.
– Le Jugement dernier ? Qu’est-ce que cela ?
– Un
triptyque du grand peintre flamand Hugo Van der Goes que mon prédécesseur ici,
Angelo Tani, avait acheté pour en faire don à l’église San Lorenzo de Florence.
C’était il y a six ans, et j’ai été chargé de faire emballer et d’expédier le
tableau... qui n’est jamais arrivé.
– Que
s’est-il passé ?
– Le
navire a été attaqué, peu après son départ de l’Écluse, par deux corsaires de
la Hanse, et le Jugement dernier orne à présent l’église Notre-Dame de
Dantzig. J’en ai été tenu pour responsable et même...
– On
a... suggéré que l’attaque était prévue et que vous aviez vous-même vendu le
triptyque ?
– Vous
avez tout compris. Comment faire face à pareille accusation ? C’est
pourquoi j’ai grand besoin qu’une voix s’élève en ma faveur, sinon je crains qu’il
me soit impossible de retourner jamais à Florence. Et cette pensée m’est
cruelle.
– Je
vous comprends mieux que vous ne l’imaginez. Évidemment, je ne peux rien pour
cette affaire de tableau volé, mais je peux faire savoir à Monseigneur Lorenzo
que vous m’avez apporté une aide... précieuse. Ce ne sera d’ailleurs que
vérité.
– Je
n’en demande pas plus. Vous aurez votre robe... et j’espère même que vous me
permettrez de vous l’offrir ?
Fiora
fronça les sourcils. La phrase était plus que maladroite car, n’ayant aucun
moyen de savoir si Portinari était un homme honnête et trop dévoué au Téméraire
ou un simple coquin qui, croyant au triomphe du Grand Duc d’Occident, avait
joué le mauvais camp contre la politique choisie par son pays, elle n’entendait
pas recevoir de lui le moindre cadeau. Elle écrirait à Lorenzo, mais
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