Fiora et le roi de France
finances.
– Nos
finances ? Qu’est-ce que cela signifie ?
– Qu’à
ce jour le roi, mon maître, doit avoir publié une ordonnance interdisant aux
gens d’Église de se rendre à Rome... ou d’y envoyer quelque argent que ce soit
sous peine de fortes amendes.
– Que
dites-vous ?
– La
surprise de Votre Sainteté m’étonne. Elle ne doit pas ignorer que le roi, qui
avait bien voulu abolir la Pragmatique Sanction de Bourges, songe très
sérieusement à la rétablir. Cette ordonnance n’est qu’un début.
– Et
vous osez venir Nous dire cela en face ?
– A
qui d’autre pourrais-je le dire ? Saint-Père, mon roi, le roi « Très
chrétien », n’usurpe en rien ce titre. Plus pieux que lui, plus dévoué aux
intérêts de Dieu et de sa très Sainte Mère ne se peut trouver. Sa mise en garde
est empreinte de dévouement filial et du désir profond de voir le trône de
Pierre rayonner, comme au temps d’Innocent, sur tous ceux qui aiment et servent
le Christ. La menace turque est réelle, pressante et, avant de répondre par l’anathème,
il conviendrait de l’examiner avec un esprit froid et lucide.
– Comme
celui du roi de France ?
– Certes,
car Louis est souverain avant d’être homme, père, ou quoi que ce soit d’autre,
et la gloire de Dieu lui est plus chère que la sienne propre.
Pensant
n’avoir rien à ajouter, l’ambassadeur plia le genou une nouvelle fois et, comme
le voulait l’usage interdisant de tourner le dos au pape, commença à reculer
vers la porte. Au lieu de l’accompagner, le cardinal d’Estouteville vint
prendre sa place au pied du trône, sans paraître s’apercevoir du surcroît d’orage
qui s’amoncelait sous les augustes paupières :
– Avez-vous
quelque chose à ajouter ? fit le pontife.
– En
effet, et j’en demande excuse, mais Votre Sainteté est trop amie de la justice
et trop soucieuse du bien des chrétiens pour que je ne l’informe pas d’un fait,
minime sans doute, mais auquel je La crois susceptible d’attacher quelque prix.
– Lequel ?
– Il
s’agit de... donna Fiora Beltrami que Votre Sainteté a en toute bonne foi,
voici trois mois, unie au jeune Carlo dei Pazzi.
A
nouveau, le visage sanguin de Sixte IV vira au rouge brique :
– C’est
un sujet dont Nous aimons peu à parler et vous devriez le savoir, Notre frère
en Jésus-Christ. Cette femme a répondu par la plus noire ingratitude et par une
fuite honteuse aux bontés dont Nous avions voulu la combler, par pitié d’abord
et aussi parce qu’elle Nous semblait digne de Notre bénévolence. Que lui
reproche-t-on encore ?
– Rien,
Très Saint-Père, absolument rien... mais il serait sage de faire savoir à la
Chancellerie d’État qu’elle devra annuler ce mariage et même... l’effacer
complètement de ses registres.
– L’effacer ?
Et pourquoi cela ? Un mariage que Nous avons Nous-même célébré, dans notre
chapelle privée... et en votre présence, cardinal ? Si un empêchement
existait à cette union, que ne le fîtes-vous entendre alors, comme le veut le
rite d’une cérémonie nuptiale ?
– J’étais
dans l’ignorance, Très Saint-Père, et Votre Sainteté Elle-même aurait rejeté
avec horreur l’idée de célébrer une telle union si...
– Si
quoi ? Cessez de Nous lanterner, par tous les saints du Paradis !
– Si
Elle avait su que cette jeune femme n’était pas veuve comme nous le croyions
tous... et comme elle le croyait elle-même.
– Quoi ?
Commynes
se chargea d’asséner le dernier coup, avec une jubilation intérieure qui
nécessita, pour n’être pas trop évidente, toutes les ressources de sa
diplomatie :
– Rien
n’est plus vrai, Très Saint-Père. Le comte Philippe de Selongey, condamné à
mort, est en effet monté sur l’échafaud de Dijon... mais il en est redescendu
sain et sauf car les ordres du roi étaient de ne lui faire connaître sa grâce
qu’à l’instant suprême.
Il y
eut un lourd silence que troublèrent seulement les pépiements des oiseaux qui
occupaient, dans la salle voisine, une grande volière dorée. Le pape poussa un
profond soupir :
– Et...
elle ? Où se trouve-t-elle en ce moment ?
– Selon
ce que j’en puis savoir, elle vogue vers la France, Très Saint-Père...
Et
Commynes, sur un dernier et profond salut, quitta la salle du Perroquet.
Deuxième partie LES CHEMINS
SANS ISSUE
CHAPITRE IV CONVERSATION
SOUS UN CERISIER
La
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