Fiora et le roi de France
Sixte IV le regardait venir
entre ses paupières resserrées. Auprès de l’ambassadeur français, les moires
pourpres du cardinal-camerlingue,
Guillaume
d’Estouteville, glissaient sans bruit... Devant eux trottait le cérémoniaire
Patrizi, plus que jamais semblable à une souris terrifiée.
Après
le rite solennel des salutations protocolaires, le pape, sans rompre le silence
de mauvais augure qu’il gardait depuis l’entrée de l’envoyé de Louis XI,
considéra un moment le visage plein et paisible du Flamand, dont les yeux bleus
ne se privaient pas de l’examiner avec une certaine curiosité. Philippe pensa
que ce gros homme correspondait à l’image qu’il s’en faisait : il
paraissait aussi teigneux qu’il l’était en réalité.
Enfin,
du fond de son triple menton, le pape grogna :
– Que
Nous veut le roi de France ?
Commynes
tira de sa manche une lettre scellée du Grand Sceau, avança de deux pas et,
avec une génuflexion, l’offrit au souverain pontife. Mais ses mains ne devaient
pas être jugées assez nobles pour transmettre directement le message, car ce
fut d’Estouteville qui le prit et le tendit au pape :
– Ouvrez,
Notre frère, et lisez ! lui dit Sixte.
En
découvrant ce qu’il avait entre les mains, le cardinal devint aussi rouge que
sa robe. Le latin du roi Louis était, en effet, suffisamment véhément pour
justifier toutes les craintes et, en déroulant la prose royale, Estouteville se
demanda si l’ambassadeur n’allait pas y laisser sa tête :
« Fasse
le Ciel que Votre Sainteté prenne conscience de ce qu’Elle fait, écrivait le
roi, et que, si elle ne veut affronter les Turcs, elle renonce du moins à faire
tort à quiconque de manière à ne pas faillir à Son ministère. Car je sais que
Votre Sainteté n’ignore pas que les scandales prédits par l’Apocalypse s’abattent
aujourd’hui sur l’Église et que les auteurs de ces scandales ne survivront pas
mais connaîtront la plus terrible fin, tant dans ce monde que dans l’autre.
Plût au Ciel que Votre Sainteté fût innocente de ces abominations « [vi]
La
voix du prélat s’étrangla un peu sur les derniers mots, mais ils n’en
demeurèrent pas moins intelligibles. Furieux, Sixte venait de s’extraire de son
trône et poussait une sorte de hurlement vengeur qui s’acheva en imprécation :
– Fils
d’iniquité ! Ce roi va savoir ce que pèse ma colère ! Oser Nous insulter
ainsi ? Nous allons l’excommunier, frapper son royaume d’interdit...
Commynes,
alors, intervint :
– Mon
roi n’a rien fait qui mérite cela, Très Saint-Père ! Il est du devoir des
princes chrétiens de mettre le trône de Saint-Pierre en face de ses responsabilités.
Alors que les voiles turques s’approchent lentement des côtes adriatiques,
Votre Sainteté, au lieu d’essayer de réunir l’Italie sous sa main auguste pour
opposer à l’Infidèle une puissance forte et unie, ne songe qu’à détruire
Florence...
– Parce
que Florence mérite d’être détruite. Oser pendre haut et court l’archevêque de
Pise, oser retenir en otage notre cardinal-légat de Pérouse...
– Monseigneur
de Médicis n’a pas retenu en otage le cardinal Riario : il lui a, au
contraire, offert l’asile de son palais pour lui éviter le sort de l’archevêque
Salviati. Florence est une cité pieuse et fidèle à sa foi, mais elle ne peut
accepter qu’en pleine messe de Pâques et à l’instant sacré de l’Élévation, on
assassine ses princes. Le roi de France n’a pas du tout apprécié le... – je
dirai l’incident – de Santa Maria del Fiore. Et il n’est pas le seul en Europe.
– Nous
n’avons que faire de lui !
– Vraiment ?
Que Votre Sainteté réfléchisse donc ! Le roi ne nourrit aucune intention
hostile envers la papauté. Bien plus, il m’a chargé d’offrir son aide pour
combattre le Turc, une aide non négligeable. Mais si Votre Sainteté s’obstine à
vouloir détruire Florence... ou à l’offrir par la violence à son neveu, le
comte Girolamo Riario, c’est à Florence qu’ira cette aide. Que Votre Sainteté
veuille bien, en outre, se souvenir des droits familiaux que la France conserve
sur le royaume de Naples dont s’empara jadis Alphonse d’Aragon. Si le roi
daignait se souvenir de ce petit État et souhaitait le reconquérir, Rome pourrait
se trouver en fâcheuse posture. Enfin, je supplie Votre Sainteté de prendre en
considération... ses
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