Fiora et le roi de France
revanche, il faut que
vous répondiez tout de suite à la question qui me hante depuis mon départ d’Italie :
savez-vous où est Philippe ?
– Philippe ?
Mais... vous l’avez dans les bras ? Posant sa joue contre la petite tête,
Fiora y déposa un baiser plein de douceur et de tendresse.
– Pas
lui, Léonarde... son père ?
Les
yeux de la vieille demoiselle se dilatèrent sous l’effet d’une peur soudaine
mêlée d’angoisse que Fiora n’eut aucune peine à traduire : sa seconde mère
était en train de se demander si elle revenait avec toute sa raison.
– Ne
vous inquiétez pas, je ne suis pas folle ! Mais je vois que votre
ignorance égale la mienne avant ma rencontre avec Commynes. C’est lui qui m’a
appris la vérité.
– Quelle
vérité ?
– La
seule qui soit valable, je pense : l’exécution de mon époux n’a pas été
conduite jusqu’à son terme et Philippe a quitté l’échafaud vivant... mais pour
aller où ? Voilà ce que Commynes n’a pas pu me dire.
Léonarde
fronça les sourcils et sa main se posa sur le bras de Fiora comme pour la
retenir devant un danger :
– Ou
pas voulu. Prenez garde, mon enfant ! Il peut s’agir d’un secret d’État
dont seul le roi possède la clef ! Peut-être vaut-il mieux n’en parler que
l’huis clos ? Certaines paroles ne sont pas faites pour s’envoler avec le
vent.
– Vous
avez raison ! Nous parlerons plus tard !
Et,
serrant tendrement contre sa poitrine le bébé qui gazouillait, Fiora franchit
enfin le seuil de la maison aux pervenches qui, pour le moment, embaumait le
poulet rôti.
Ce
soir-là, Fiora décida que tout le monde souperait à la cuisine, en dépit des
protestations indignées de Péronnelle qui entendait lui voir reprendre dès l’abord
ses prérogatives de châtelaine. Fiora ne voulut rien entendre :
– Voilà
des mois que je rêve de retrouver cette maison, dit-elle, mais sans vous tous
elle ne serait qu’une coquille vide et j’ai besoin de vous sentir autour de
moi. Et puis, Péronnelle, je sais des salles de châteaux qui ne valent pas
votre cuisine.
C’est
ainsi que l’on se retrouva autour de la longue table de chêne ciré sur laquelle
Léonarde étendit une nappe de toile fine que Florent, pour faire honneur à
celle qui revenait, orna d’une jonchée de petites roses mousse et de
pervenches. Toute la maisonnée s’y installa joyeusement autour de quelques-unes
des spécialités de Péronnelle, depuis les pâtés de saumon, d’anguille et de
gelinotte, les fines andouillettes roulées dans la chapelure et un succulent
rôti de marcassin aux groseilles, jusqu’à d’exquis beignets à la fleur d’acacia,
des confitures variées et un blanc-manger au caramel et aux amandes, en passant
par de petits fromages frais posés sur des feuilles de vigne et servis avec des
épices. Naturellement, Etienne avait plongé dans sa cave pour en extraire
quelques pots de ses meilleurs vins d’Orléans ou de Vouvray.
Fiora
parla, bien sûr, beaucoup plus que les autres convives, encore qu’elle ne se
privât pas de poser des questions sur ce qui s’était passé durant son absence.
Chacun était avide de connaître ses aventures depuis la nuit tragique où
Montesecco était venu l’enlever par ordre du pape pour la mener captive à Rome.
Néanmoins le récit posa quelques problèmes à la narratrice. Il ne pouvait être
question de choquer outre mesure les sentiments profondément religieux de ces
braves gens, ni de leur raconter le détail de sa vie durant tous ces jours. Il fallut
tailler, élaguer, enjoliver certains passages et, ainsi, insister davantage sur
le séjour au couvent San Sisto que sur celui au palais Borgia, passer sous
silence le mariage avec Carlo et, surtout, l’épisode passionné vécu avec
Lorenzo. Évidemment, il fut impossible d’éviter le meurtre de Giuliano dans la
cathédrale de Florence et Fiora vit s’assombrir alors les visages, cependant
que des mains dessinaient un rapide signe de croix.
– C’est
à notre sire le roi, dit-elle en conclusion, que je dois d’avoir pu revenir
vers vous sans encombre. Ma rencontre avec son ambassadeur, à Florence, m’a
donné, enfin, toutes les facilités que j’attendais pour regagner la France.
On but
donc à la santé du roi Louis puis Fiora, Léonarde et Khatoun, à qui l’on avait
dressé un lit près de la chambre de sa jeune maîtresse, regagnèrent leur
appartement où dormait déjà le petit
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