Fiora et le roi de France
toutes les odeurs de l’été. Il eût été dommage d’en troubler la beauté
par l’évocation des turpitudes humaines. Les deux amis connaissaient, l’un
comme l’autre, le prix de tels instants et avaient appris à les apprécier...
CHAPITRE V LA FORÊT DE
LOCHES
– Venise,
Venise ! bougonna Léonarde en tirant vigoureusement sur le drap qu’elle
était en train de plier avec Fiora. Pourquoi Venise ? Et pourquoi pas
Constantinople, ou le royaume du Prêtre Jean... ou Dieu sait quoi ?
– Je
vous l’ai dit, Léonarde : parce que je sais qu’il y pensait. Quand je
demandais l’annulation de notre mariage, il voulait que le duc Charles me
remette tous ses biens en paiement de la dot qu’il avait exigée de mon père. Et
il avait ajouté que, la paix revenue entre France et Bourgogne, il pourrait
toujours se mettre au service du doge pour tenter de reconstituer sa fortune.
– Mais
il y a des siècles de cela ? Et vous êtes toujours sa femme ?
– Il
n’en sait rien, au fond. En admettant qu’après son évasion Philippe soit venu
chercher de mes nouvelles par ici, il a pu apprendre ma disparition, peut-être
même que l’on m’avait emmenée à Rome ? De là à imaginer que j’étais allée,
comme je l’en avais menacé, demander au pape cette fameuse annulation...
Léonarde
récupéra le drap, acheva de le plier et le posa sur une pile qui attendait un
ultime passage du fer avant d’aller reposer dans une armoire avec des sachets
de menthe et de pin odorants. Elle en prit un autre dans la grande corbeille qui
attendait et lança l’une des extrémités à Fiora :
– Cessez
donc de faire marcher votre imagination, mon agneau, si messire Philippe était
venu par ici, nous le saurions : il avait trop fière mine pour passer
inaperçu et, apprenant la naissance de son fils, il n’aurait pas pu ne pas
venir à la maison.
– Un
prisonnier évadé, Léonarde ! Peut-être à bout de souffle. Sans argent,
sans secours possible... et puis tellement orgueilleux ! Je l’imagine mal
venant ici demander un secours !
– Je
l’imagine mal venant rôder autour du Plessis ! fit Léonarde imitant Fiora.
La seule chose sensée, pour lui, était d’essayer de rejoindre les Flandres et
la cour de la princesse Marie. En tout cas, je regrette de ne pas avoir assisté
à votre entretien avec le roi. Il me semble que j’aurais posé des questions
plus pertinentes que les vôtres. Tirez, que diable ! Ce drap va ressembler
à un chiffon !
– Vous
n’auriez guère eu de peine ! J’étais tellement bouleversée que je n’avais
plus ma tête à moi ! Mais... quelles questions auriez-vous posées ?
– Eh
bien, il me semble que j’aurais essayé de savoir ce qu’il était advenu du
château de Selongey ? Le sire de Craon a-t-il fait main basse dessus après
le jugement, ou le roi a-t-il pris soin de vous le conserver ?
– En
fait, je n’en sais rien. Il m’a seulement dit qu’il avait envoyé surveiller les
alentours du village pour savoir si Philippe ne s’y était pas réfugié.
– Bon.
Il y a là tout de même une demi-réponse : si le gouverneur de Dijon s’en
était emparé, il ne serait pas nécessaire d’épier les abords pour tenter d’en
retrouver le maître légal.
– C’est
juste ! De toute façon, il est trop tard pour poser la question au roi...
Fiora,
en effet, avait eu beaucoup de chance de rencontrer Louis XI dès son retour de
Florence. Le roi n’était revenu au Plessis que pour peu de jours et, le
lendemain même du fameux souper, l’avait quitté pour l’Artois dont la
pacification n’était pas achevée. En outre, il voulait s’occuper en personne
des modalités de la trêve qui devait intervenir entre lui et l’époux de Marie
de Bourgogne après la victoire à la Pyrrhus remportée par son capitaine,
Philippe de Crèvecœur, sur ce même Maximilien. Sans doute ne serait-il pas
longtemps absent mais, en attendant, le Plessis-Lès-Tours s’était rendormi sous
la protection d’une seule compagnie de la Garde écossaise.
Ayant
fini de plier les draps, Léonarde les transporta jusqu’à un grand coffre posé
dans une petite pièce proche de la cuisine. Puis elle rejoignit Fiora qui était
allée s’asseoir près de l’âtre et croquait une pomme : Etienne en avait
déposé un grand panier sur la table une heure plus tôt.
Léonarde
en prit une, elle aussi, la frotta sur son devantier pour la faire briller
Weitere Kostenlose Bücher