Fiora et le roi de France
et
mordit dedans, sans pouvoir retenir une grimace : ses dents n’étaient plus
assez solides pour cet exercice, et elle alla quérir un couteau pour venir à
bout du fruit. Fiora, assise sur la pierre, les coudes aux genoux, regardait
les flammes...
La
grande cuisine était paisible, presque silencieuse. Péronnelle était partie
pour le marché de Notre-Dame-la-Riche en compagnie de Khatoun et de Florent.
Mais au premier étage, Marcelline affrontait une colère du jeune Philippe que
sa dernière tétée laissait insatisfait. Léonarde pensa qu’il faudrait bientôt
lui donner des bouillies si l’on ne voulait pas l’entendre hurler jour et nuit.
Cette idée désespérait la nourrice. Quand elle n’aurait plus de lait, il lui
faudrait retourner à sa ferme, et cette perspective ne l’enchantait pas, le
manoir étant incomparablement plus agréable à vivre.
Ces
pensées tournaient dans la tête de la vieille demoiselle et la distrayaient un
peu des graves problèmes qui encombraient l’esprit de Fiora, mais celle-ci y
revenait :
– Dans
combien de temps aurons-nous des nouvelles du doge ? demanda-t-elle en
jetant dans le feu le trognon de sa pomme.
– Comment
pourrais-je vous le dire ? C’est loin, Venise.
– Il
faut pourtant que je sache ! Je ne peux pas rester là, sans rien faire ni
rien savoir de mon époux ?
– Et
que voulez-vous faire ? Vous jeter sur les routes comme vous l’avez fait
tant de fois pour tenter de le rejoindre ? Fiora, ce serait une folie. L’été
s’achève, nous allons vers la mauvaise saison. Accordez-vous le temps du repos
et de la réflexion.
– Si
je reste ici, jamais je ne le retrouverai car jamais il ne viendra sur les
terres de ce roi qu’il déteste...
– Mais
que vous aimez bien et qui, d’ailleurs, à moins que je ne me trompe fort, vous
le rend. Pour avoir cherché avec tant de patience un rebelle, pour continuer la
recherche alors qu’il ne devrait même pas s’en soucier, il faut qu’il ait pour
vous une véritable amitié.
– Ne
pas s’en soucier ? s’écria Fiora vexée.
– Redescendez
sur terre ! Qu’est-ce que Philippe de Selongey pour le roi de France ?
La différence est énorme, me semble-t-il ?
– Vous
faites peu de cas de mon époux, à ce que l’on dirait ?
– J’essaie
simplement de vous mettre en face des réalités. Le roi reconquiert, avec la
Bourgogne, une province française que la duchesse actuelle tente d’offrir à l’Empire
allemand. Votre époux, apparemment, a choisi son parti. C’est pour Louis XI un
rebelle, d’autant plus rebelle qu’il n’y a pas si longtemps il a tenté de l’assassiner.
Et non seulement, Louis XI le gracie une seconde fois, en l’enfermant, certes,
mais, quand il s’évade, il essaie de le retrouver.
– N’importe
quel geôlier en ferait autant, fit Fiora avec un demi-sourire.
– Mais
n’importe quel geôlier, son gibier repris, se hâterait de l’expédier dans un
monde meilleur pour être certain qu’il ne l’ennuie plus ! Or, si je vous
ai bien comprise, notre Sire voulait l’enfermer... en attendant votre retour ?
– C’est
ce qu’il dit !
– Et
pourquoi ne le croirait-on pas ? Remettez-vous à Dieu, pour une fois, et
pensez un peu à votre fils ! A défaut de père, il a le droit d’avoir une
mère comme les autres !
Fiora
savait que Léonarde parlait avec la voix de la sagesse, mais elle ne supportait
pas l’idée d’ignorer où se trouvait Philippe. Devant son mutisme éloquent,
Léonarde reprit :
– Vous
n’êtes pas encore convaincue, n’est-ce pas ? Alors, je vais aller plus
loin : vous ignorez où se trouve messire de Selongey, mais lui sait
parfaitement où vous êtes puisqu’à Nancy vous avez pris soin de le renseigner.
Une fois déjà, pour vous rejoindre, il a vaincu son orgueil. Pourquoi donc ne
le vaincrait-il pas une fois de plus ? Ou alors, c’est qu’il ne vous aime
pas !
Le mot
frappa Fiora au plus sensible et elle releva, sur sa vieille amie, un regard
désolé :
– Ou
qu’il ne m’aime plus ? C’est peut-être vrai... mais, Léonarde, je n’arrive
pas à le croire !
– Vous
avez cependant toutes les raisons d’y croire, fit Léonarde impitoyable.
Pensiez-vous vraiment à lui dans les bras de Lorenzo de Médicis ?
Il y
eut un silence et Fiora détourna la tête, peut-être pour cacher les larmes qui
lui venaient :
– Vous
êtes cruelle, Léonarde, soupira-t-elle. Je ne
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