Fiora et le roi de France
semaines et, tandis que Mortimer, l’œil allumé par le
souvenir de délices passées, s’arrêtait dans la cuisine, elle se laissa
conduire dans une chambre dallée de grès rose, dont les murs blancs mettaient
en valeur les meubles bien cirés et un grand bouquet multicolore disposé devant
une petite statue de la Vierge. La claire chanson d’une fontaine entrait par la
fenêtre ouverte sur le jardin...
Prenant
juste le temps d’arracher ses bottes et d’ôter sa tunique de velours, Fiora s’étendit
sur le lit drapé de bleu tendre qui fleurait bon la résine de pin et la
lavande. Elle s’y endormit comme une masse.
Elle
dormit ainsi une bonne partie de la journée et le soir tombait, bleu et mauve,
quand elle rejoignit Mortimer dans la grande salle voûtée où s’élaboraient les
mystères de la cuisine. Assis auprès de la vaste cheminée blanche où rôtissait
un quartier de mouton, celui-ci buvait du vin blanc en dévorant un gros morceau
de pain, fourré d’oignons, d’olives noires, de piment et d’anchois, qui visiblement
dégoulinait d’huile. A l’autre bout de la table de chêne longue et étroite,
maître Jacques battait des œufs sous une sorte de couronne barbare faite d’un
cercle de futaille auquel étaient pendus des grappes de raisin de l’année
précédente, des saucisses presque aussi sèches et de gros oignons violets.
– Eh
bien, demanda-t-elle en s’asseyant près de lui, avez-vous appris quelque chose ?
– Rien
du tout ! Je pense que messire Philippe a dû partir avec les pèlerins et,
dans ce cas, comment le distinguer des autres ? Fendant que vous dormiez,
je me suis promené dans la ville, je suis allé aussi bavarder avec les soldats
du donjon et j’ai posé des questions. Tous savaient bien sûr l’histoire de l’homme
recueilli par les chartreux, mais, heureusement, aucun n’a imaginé qu’il pût
être venu de Lyon. De toute façon, personne ne l’a vu et donc personne ne
pouvait le reconnaître quand il est parti. Tenez goûtez donc ça !
– Non,
merci. C’est dégoûtant !
– A
cause de l’huile ? Mais c’est délicieux !
Il lui
en coupa un morceau et le lui tendit à plat sur sa main. Ce que voyant, maître
Jacques planta là ses œufs, prit une grande serviette blanche et vint, avec un
sourire encourageant, la nouer au cou de la jeune femme.
– Cela
vous paraîtra tout de suite meilleur ! fit-il. C’était en effet un régal
et Fiora, découvrant qu’une fois de plus elle était affamée, redemanda de ce « pan
bagna ». Elle s’entendit répondre que l’heure du souper n’était plus
éloignée et qu’il lui fallait garder un peu de faim. Pour se venger, elle avala
un bon tiers du pichet de Mortimer, sans pour autant perdre de vue la pensée
qui l’occupait.
– Qu’allons-nous
faire à présent ? Avez-vous une idée ?
– Je
pense que nous pouvons rester trois ou quatre jours ici afin de battre un peu
les environs. A moins qu’il n’ait eu l’intention d’aller jusqu’à Compostelle,
notre ami a certainement faussé compagnie aux pèlerins. Peut-être quelqu’un l’a-t-il
remarqué, ce qui nous donnerait au moins une direction où chercher.
Fiora
devait s’avouer qu’elle ne connaissait pas assez Philippe pour deviner ses
réactions et son état d’esprit au moment où il s’était enfui de la Chartreuse.
Qu’il ait parlé d’elle dans son délire était réconfortant, mais la
regrettait-il assez pour renier ses convictions, son intransigeante fidélité à
la cause de Bourgogne, et pour venir enfin vers cette Touraine où elle avait
exigé qu’il vînt la chercher ?
Voyant
s’assombrir le visage de sa compagne, Mortimer posa sur son bras une main
amicale :
– Essayez
de ne pas trop vous tourmenter ! Accordez-vous un peu de repos ! Le
principal est acquis, puisqu’il est vivant !
– En
êtes-vous certain ? Que peut-il faire seul, sans armes, sans argent ?
S’il veut quitter la France, il n’a aucun moyen de payer un passage sur un
bateau et l’imaginer errant, seul et misérable, au long des chemins est une
pensée cruelle...
– Ce
n’est pas une faible femme. Ce que j’ai pu en apprendre me paraît rassurant :
un homme de cette trempe ne se laisse pas mourir de misère au coin d’un bois.
Je suis certain que vous le retrouverez un jour. Nous allons faire ce que je
vous ai dit et, au retour, nous pourrons demander l’aide du roi. Il est assez
puissant pour le
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