Fiora et le roi de France
et la moitié des
choux que l’on avait en réserve se transformèrent en cataplasmes. Le froid
heureusement ne fut pas trop rigoureux, mais quand la neige fondit, la Seine
commença à grossir. De la fenêtre de leur salle, les deux femmes la regardèrent
monter lentement à l’assaut du verger, puis du jardin, et finalement de l’escalier.
Une marche, une autre marche... La cave se remplit d’eau, ce qui ne risquait
pas de porter tort aux futailles, mais aux autres provisions, et Florent
employa une nuit entière à déménager le saloir, les jambons, puis les pommes et
les poires mises au fruitier, pour leur éviter un naufrage total. Il en était
même à envisager d’emporter les meubles dans les vignes et de conduire les deux
femmes chez l’ermite du mont Valérien quand, brusquement, en quelques heures et
comme un baquet dont on a enlevé la bonde se vide d’un seul coup, le flot
boueux se retira. Le verger cessa d’être une plantation de plumes d’oie dans de
l’encre grise pour retrouver ses assises. Des assises boueuses, spongieuses,
mais qui, tout de même, ressemblaient à de la terre ferme.
On eut
d’autres alertes, lorsque à la fin de l’hiver des rafales de pluie secouèrent
les arbres et en arrachèrent des brindilles. Florent vivait assis sur la berge,
l’œil rivé au niveau du fleuve. Quant à Fiora, qui atteignait un maximum de
circonférence, elle en venait à nier tout danger en vertu de cet adage antique
qui veut que ce que l’on nie n’existe pas. Mais il était impossible de nier les
douleurs de la pauvre Léonarde et, alors qu’elle était censée s’occuper de la
future mère, ce fut celle-ci qui passa de longues heures à soigner ses
jointures douloureuses. Elle finit même par oublier son état : elle et ses
deux compagnons se trouvaient enfermés au cœur d’une bulle de chaleur et de
sécheresse qui voguait sur un flot instable dont on ne pouvait savoir s’il n’allait
pas, tout à coup, les engloutir à jamais.
Et
puis, d’un seul coup, tout rentra dans l’ordre. Aux derniers jours de mars, le
printemps fut exact au rendez-vous. Des pousses, vite changées en boutons,
surgirent sur les arbres fruitiers, et la boue laissa percer de minces lames
vertes qui annonçaient l’herbe. Fiora pensa alors que l’enfant n’allait plus
tarder. En effet, dans la nuit du 4 au 5 avril, elle ressentit des douleurs,
peu violentes, mais assez rapprochées pour lui faire appeler Léonarde qui, de
son côté, réveilla Florent, chargé de rallumer le feu dans la cuisine et de
mettre de l’eau à bouillir tandis qu’elle-même préparait tout ce qui était
nécessaire. Depuis longtemps déjà, une grande corbeille avait été accommodée
pour servir de berceau.
Tout
alla infiniment plus vite que l’on ne s’y attendait et c’est tout juste si la
grande marmite eut le temps de chauffer : une demi-heure après avoir
poussé son premier gémissement, Fiora stupéfaite donnait le jour à une petite
fille. Elle ne ressentait aucune fatigue et, pour un peu, elle aurait quitté
son lit pour aider Léonarde à s’occuper du bébé.
– J’ai
tant souffert pour mon petit Philippe ! Est-il vraiment possible de mettre
un enfant au monde en si peu de temps ?
– La
preuve ! fit Léonarde en riant. La venue d’un premier enfant est toujours
assez longue, mais notre petite demoiselle avait, semble-t-il, grande hâte de
voir le jour. Oh, mon agneau, elle vous ressemble tellement !
Et
Léonarde qui venait de finir d’emmailloter la petite fille se mit à pleurer en
la berçant dans ses bras. Florent, arrivant avec des bûches pour le feu, en
laissa choir son bois.
– Pourquoi
pleurez-vous ainsi, dame Léonarde ? L’enfant n’est pas...
– Non,
non, elle va très bien, mais elle vient de réveiller tant de souvenirs ! Vous
n’étiez pas beaucoup plus vieille, Fiora, quand on vous a mise dans mes bras
pour la première fois, et il me semble que tout recommence !
– Grâce
à Dieu, les circonstances ne sont pas les mêmes, dit Fiora doucement.
– Elles
sont moins tragiques, sans doute, mais presque aussi tristes. Cette petite
fille ne vous donnera pas davantage le nom de mère que vous ne l’avez donné à
la vôtre.
A leur
tour, les yeux de Fiora s’emplirent de larmes. Elle réalisa que, jusqu’à l’instant
de son premier cri, l’enfant qu’elle portait lui était apparu comme une gêne,
une punition et même un danger, puisqu’il risquait
Weitere Kostenlose Bücher