Fiora et le Téméraire
infligea.
Quand
il fut endormi, elle se glissa hors du lit, s’en fut rincer le gobelet avec un
peu de vin qu’elle jeta par la fenêtre, en reversa dans le récipient qu’elle
posa au chevet et vida le restant du pot au-dehors. La pluie faisait rage et
diluerait les traces. Puis elle revint se coucher, but un peu de vin, renversa
la coupe sur les draps, et fit semblant de dormir.
Naturellement,
quand Salvestro entra pour rappeler son maître au devoir, il fut impossible de
le réveiller :
– Il
a bu comme une éponge, soupira Fiora. Il est ivre mort !
– Il
est surtout ivre de fatigue. Et vous y êtes pour quelque chose... N’importe !
Il faut qu’il reparte sinon il est perdu. Aidez-moi à l’habiller !
Détournant
les yeux pour ne pas voir Fiora se lever, il commençait déjà à passer les
chausses au corps inerte qui émettait des grognements de protestation entre
deux ronflements. A eux deux, ils réussirent à l’habiller puis Salvestro alla
chercher le sergent qui commandait la petite garnison pour qu’il l’aide à
enfermer Campobasso dans son armure. Cachant sa déception, Fiora les regardait
faire. Elle découvrait que la pire ruse féminine était impuissante contre le dévouement
aveugle d’un vieux serviteur.
Habillé
et armé, le condottiere fut hissé et attaché sur un cheval que Salvestro, qui s’était
équipé en un clin d’œil, prit par la bride :
– Je
vais le reconduire jusqu’à ce qu’il se réveille. S’il faut aller jusqu’à
Conflans, j’irai jusqu’à Conflans, dit-il au sergent.
Et, se
penchant sur sa selle, il lui glissa quelques mots à l’oreille et quitta le
château.
Avec
un haussement d’épaules résigné, Fiora retourna se coucher dans son lit taché
de vin...
Salvestro
revint dans la journée. Campobasso avait repris conscience à l’aube et
regagnait son camp à francs étriers, sans rien comprendre à ce qui lui était
arrivé.
Cependant
son escapade allait avoir, pour son orgueil, de rudes conséquences. Durant
cette nuit, du secours était arrivé à Gratien d’Aguerre, le vaillant gouverneur
de Conflans, en la personne de Gérard d’Avilliers, gouverneur de la ville
frontière de Briey [xii] qui venait à son aide avec une partie de ses troupes. Campobasso réussit
néanmoins à regagner son camp mais ce fut pour voir arriver sur ses arrières le
duc René II en personne, revenu de France avec quatre cents lances (environ
deux mille cinq cents hommes) placées sous le commandement de Georges de La
Tremoille, qui lança sur lui cette force nouvelle augmentée d’un corps de
chevaliers et d’arbalétriers lorrains. Comprenant qu’il allait y laisser la
vie, le condottiere se hâta de lever le siège... et essuya l’une des plus
terribles colères du duc de Bourgogne. Traité de lâche et d’incapable,
Campobasso, la rage au cœur, ne put que courber le dos sous l’orage en jurant
qu’il se rattraperait.
Quand
la nouvelle en parvint à Pierrefort, Salvestro jeta feu et flammes et Fiora fut
un instant en danger :
– II
me tuera peut-être ensuite mais s’il recommence pareille folie pour vous, je
jure que je vous étranglerai de mes mains ! brailla-t-il en lui mettant
sous le nez deux puissantes tenailles velues capables de briser le cou d’un
ours mais qu’elle considéra froidement :
– Vous
me rendriez peut-être service, fit-elle. Croyez-vous que je puisse aimer ce
genre de vie ?
Et,
haussant les épaules, elle tourna les talons et se dirigea vers la chapelle
attenante au logis. Les bâtisseurs du château avaient dû être des gens fort
pieux car, outre cette chapelle, un oratoire avait été édifié entre les
cuisines et le corps de garde à l’usage des serviteurs et des soldats.
Ce n’était
pas la première fois que Fiora entrait dans le petit sanctuaire mal éclairé,
lourdement voûté d’ogives dont personne ne prenait soin. Un autel nu, une croix
de pierre et, sur les murs, des fresques en partie désagrégées par l’humidité,
un vieux banc mangé des vers... c’était tout ce que l’on y voyait. Pourtant la
jeune femme aimait à y venir à cause de la qualité de silence qu’elle y
trouvait. Et elle restait assise de longues heures sur le vieux banc sans prier
– elle en avait perdu l’habitude et n’essayait même pas de la retrouver – les
mains nouées sur ses genoux, cherchant à démêler un fil clair dans l’écheveau
embrouillé de sa vie naufragée.
Ce brin
lumineux
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