Fiora et le Téméraire
les chandelles :
– Je
vais vous faire porter à souper, dit La Marche à Fiora qui s’était assise,
frissonnante, sur le lit. J’enverrai aussi votre bagage et, demain, une femme
viendra s’occuper de vous.
– Grand
merci. Mais pourquoi tant de soins ? Ne suis-je pas prisonnière ?
– Nous
n’avons guère de cachots à notre disposition. En outre, les ordres de
monseigneur sont que vous ne manquiez de rien. Je dois y veiller
personnellement...
– C’est
trop de bonté... mais consentiriez-vous à y mettre un comble en me disant où
loge messire de Selongey ? Est-ce loin d’ici ? ...
– Je
n’ai pas le droit de vous l’apprendre, madame. Vous êtes ici au secret en
quelque sorte avec défense d’en sortir ou de communiquer avec qui que ce soit
en dehors de moi ou de qui aura la permission d’entrer...
Fiora
hocha la tête, signifiant qu’elle avait compris puis se leva et alla offrir ses
mains froides à la chaleur du brasero qui emplissait son étroit logis d’une
bonne odeur de bois brûlé. La tête vide comme cela doit être lorsque l’on a
subi un naufrage, elle n’essayait même pas de penser, uniquement occupée de
sentir son corps transi et douloureux se réchauffer lentement. Dans ses os et
dans sa chair, elle ressentait une immense fatigue qui allait jusqu’à une sorte
de souffrance ; tout cela bien au-delà de la lassitude procurée par une
chevauchée de cinq ou six lieues, mais le passage avait été cruel d’une joie
éblouissante à un profond chagrin et Fiora ne désirait plus qu’une seule chose :
dormir ! plonger pour des heures dans ce sommeil des bêtes harassées qui
ressemble à la mort ! Tôt ou tard, il faut bien émerger mais il arrive
alors que le courage et les forces soient restaurés. Sinon, il ne reste plus qu’à
chercher un sommeil plus profond encore et, surtout, irrémédiable...
Elle
allait se jeter sur son lit quand, dans l’encadrement de toile, un jeune
garçon, vêtu avec élégance d’un justaucorps de velours violet brodé d’argent
sur des chausses gris clair et des bottes courtes de daim violet, apparut un
plateau entre les mains :
– La
noble dame m’accorde-t-elle permission d’entrer ? demanda-t-il en s’inclinant
avec aisance.
Il
avait parlé italien et Fiora, presque machinalement, lui sourit. C’était le
premier mâle qui la traitait avec respect.
– Bien
sûr ! fit-elle. Est-ce que nous serions compatriotes ?
– Pas
tout à fait. Je suis romain : Battista Colonna, des princes de Paliano,
page de mon cousin, le comte de Celano, mais récemment passé au service de Mgr
le duc de Bourgogne. A présent, si vous y consentez, madame, nous parlerons
français pour ne pas inquiéter les sentinelles, ajouta-t-il dans cette langue
tout en posant son plateau sur un coffre.
– Le
service du comte de Celano ne vous convenait plus ?
– Ce
n’est pas cela mais je chante assez bien et Mgr Charles, qui entretient un
chœur de jeunes chanteurs, aime que je joigne ma voix aux leurs. Je suis, pour
ainsi dire, prêté.
– Et
l’on vous a chargé de m’apporter à souper, vous qui êtes de très noble famille
si je vous ai compris ? Qui vous a donné l’ordre ?
– Messire
Olivier de La Marche. Nous n’avons guère au camp que des valets d’armes et
faute de femme sachant servir une noble dame florentine, messire Olivier a
pensé qu’il vous serait plus... quel terme a-t-il employé ? ... Ah oui :
réconfortant d’être servie par un garçon né dans la péninsule.
– Voilà
une attention que je n’aurais jamais imaginée il y a seulement cinq minutes. J’espère
seulement que le duc Charles n’en sera point contrarié ?
– Messire
Olivier ne fait jamais rien sans l’autorisation de monseigneur. A présent,
donna Fiora, je vous souhaite bon appétit et un bon repos !
– Vous
connaissez mon nom ?
– Messire
Olivier n’oublie jamais rien, fit le jeune Colonna avec un salut qui était
presque une pirouette et un joyeux sourire.
Un peu
revigorée par la visite inattendue de ce gamin -il pouvait avoir une douzaine d’années
– chaleureux et charmant, Fiora remercia mentalement l’impassible capitaine de
la garde ducale en se promettant bien de le faire de vive voix quand l’occasion
lui en serait donnée. Puis elle découvrit qu’elle avait faim et dévora
littéralement le pâté d’anguilles, les rissoles et les fruits séchés que le
page avait apportés avec une petite
Weitere Kostenlose Bücher