Fiora et le Téméraire
cruche de vin de Bourgogne. Après quoi, se
jetant tout habillée sur le lit en s’enveloppant d’une couverture, elle laissa
sa fatigue l’emporter vers un paradis paisible où les anges chantaient la
gloire de la bienheureuse Vierge Marie... Dans sa chambre somptueuse, le
Téméraire, le menton dans la main, écoutait la maîtrise de sa chapelle composée
de vingt-quatre jeunes garçons sous la direction du maître Adam Busnois,
interpréter un motet à Notre-Dame... Les voix célestes emplissaient la nuit
froide annonciatrice d’un hiver précoce et dans l’immense camp étendu bien
au-delà de l’étang Saint-Jean jusqu’au pied des coteaux de Malzéville, chacun
retenait son souffle pour puiser dans tant de beauté un peu de réconfort pour
les combats à venir.
Durant
plusieurs jours, Fiora demeura enfermée sous sa tente sans voir personne d’autre
que le jeune Battista Colonna qui lui apportait ses repas et la fille
visiblement terrifiée et apparemment muette qui venait vaquer à un semblant de
ménage, lui portant du bois et de l’eau, nettoyant l’âtre et les bassins sans
que Fiora réussît à lui tirer seulement une parole.
Heureusement,
Battista était un peu plus bavard. Fiora, à demi assourdie par la canonnade qui
faisait rage tout le jour, apprit de lui que Nancy se défendait bien. Le bâtard
de Calabre qui en était le gouverneur était un habile homme de guerre. Non
content d’avoir, à l’approche de l’armée bourguignonne, fait ajouter aux
bastions, demi-lunes, redoutes et contrescarpes déjà existant des terrasses,
des cavaliers [xvi] et des parapets en tout genre, son artillerie, aux mains d’un maître canonnier
nommé Desmoulins qui était peut-être le meilleur artificier de son siècle,
rendait coup pour coup à l’assaillant. Les deux canons que Desmoulins avait
fait monter sur la Grande Tour regardant la commanderie avaient déjà obligé
deux fois le Téméraire à changer la place de ses tentes et mis en pièces le « Courtois »,
la longue couleuvrine avec laquelle les Bourguignons attaquaient ladite tour et
celle de la porte Saint-Nicolas. Le jeune Romain ne cachait pas qu’un certain
découragement commençait à poindre chez les assaillants. Allait-on recommencer
l’interminable siège de Neuss ? Dans la ville, par ailleurs, l’espoir
renaissait en dépit des réserves de vivres qui commençaient à diminuer. La
pluie d’ailleurs venait à l’aide des gens de Nancy, transformant le camp ennemi
en cloaque...
Malheureusement
pour eux, les Bourguignons reçurent du renfort : le Grand Bâtard Antoine
de Bourgogne, demi-frère du Téméraire et son meilleur général, arriva du sud,
amenant avec lui les troupes lombardes fraîches qu’il était allé chercher à
Milan. Avec son aide, Charles put achever l’encerclement de la cité, trop serré
pour que le moindre ravitaillement pût être apporté...
– Est-ce
à dire, demanda Fiora, que le siège va bientôt s’achever ou sommes-nous ici
pour des mois ?
– J’espère
pour vous que la résistance des Lorrains ne sera pas éternelle. Cette tente est
assez agréable mais à condition d’en sortir plus que vous ne le faites.
En
effet, Fiora avait le droit, la nuit venue et sous la surveillance étroite des
soldats qui veillaient à sa porte, de sortir quelques minutes pour respirer un
peu d’air frais. Le reste du temps, elle pouvait ouvrir les rideaux masquant la
porte mais pas davantage. En général, elle ne profitait guère de la permission
pour éviter les paquets de pluie que le vent charriait. Néanmoins, la remarque
du page l’inquiéta :
– Voulez-vous
dire que je ne sortirai pas d’ici avant que Nancy ne se soit rendue ?
Battista
hésita un instant puis, baissant la voix, répondit en italien :
– C’est
tout à fait exact. Je ne devrais pas vous le dire mais après tout vous avez,
selon moi, le droit de savoir ce qui vous concerne : Campobasso a attaqué
messire de
Selongey
et les deux hommes ont commencé à se battre quand Monseigneur le duc est
intervenu. Il leur a commandé de remettre l’issue de leur querelle jusqu’à ce
que l’armée soit entrée dans Nancy, ajoutant qu’il ne voulait pas risquer d’avoir
l’un, ou peut-être deux de ses meilleurs capitaines, hors d’état de servir. Et
même en faisant peser sur eux sa colère, il a eu du mal à en venir à bout. Il a
fallu qu’il menace... de vous faire exécuter immédiatement. Cela les a
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