Fiora et le Téméraire
sont rendus à merci et
on les massacre, par dizaines. On les jette du haut des remparts, on les pend
ou les noie afin qu’il n’en reste plus un seul pour appeler sur votre maître la
vengeance du ciel. Ce qui n’empêche qu’elle l’atteindra un jour !
Le
silence qui suivit traduisit la gêne de Philippe qui avait pâli :
– Quand
la colère le prend, il peut être effrayant, je le sais et...
– En
colère, lui ? Pas le moins du monde. Il sourit et même il rit tant il
trouve plaisant le spectacle...
– Il
semble d’ailleurs coutumier du fait, dit paisiblement Léonarde. J’ai entendu
parler de ses exploits à Dinant et à Liège où il n’a même pas accordé la vie
sauve aux chats !
– Laissez,
chère Léonarde ! Vous ne convaincrez pas messire de Selongey. Le Téméraire
est son dieu... mais moi qui préfère en servir un plus clément, je vous prie de
nous livrer passage afin que nous puissions continuer notre voyage.
– Etes-vous
si pressées ? temporisa Philippe. J’avoue que j’espérais vous voir en
rejoignant le camp...
– Nous
n’avons plus grand-chose à nous dire, Philippe. J’ai demandé que notre mariage
soit annulé. Ainsi vous serez libre et le cher duc sera content. Je crois qu’il
vous tient en réserve quelque grande dame...
– Que
voulez-vous que j’en fasse ? cria Selonguey que le ton de persiflage de la
jeune femme agaçait. Quant à cette annulation, je n’en veux pas. Je n’ai aimé
et n’aimerai jamais que vous, Fiora, et quoi que vous ayez pu faire...
– Ce
que « j’ai » pu faire ? Apparemment ce serait vous qui auriez
quelque chose à me reprocher ?
– Il
me semble, oui ! Avez-vous déjà oublié Thionville ?
– Inutile
de crier et de réjouir vos compagnons avec nos querelles. J’en vois plus d’un
sourire. Il est vrai que les distractions anodines sont plutôt rares dans ce
pays. Mais, dans quelques instants vous pourrez leur offrir beaucoup mieux :
des arbres supportent des grappes humaines. Le duc vous expliquera que c’est le
summum du comique. A présent, je veux passer !
– Je
ne vous laisserai pas partir ! dit Philippe en s’emparant de la bride du
cheval de Fiora.
A cet
instant d’ailleurs, un nouveau cavalier, lancé au galop, débouchait du tournant
de la route et dut faire preuve d’une réelle science équestre pour arrêter sa
monture avant la collision.
– Donna
Fiora ! s’écria Battista Colonna. Dieu soit loué ! je vous retrouve !
– Vous
me cherchiez ?
– Monseigneur
vous cherche. Il ordonne que vous rentriez au camp immédiatement. J’ai ordre de
vous ramener à tout prix.
– Voilà
qui est fait, Battista. A présent, vous pouvez retourner dire à votre maître
que je refuse de revenir. Il a exigé que je le suive dans cette guerre mais je
ne m’en sens vraiment plus le courage. J’en ai vu plus que je n’en peux
supporter. Dites-le-lui ! ...
– Ah !
Le
jeune garçon devint très rouge et détourna la tête.
– C’est
là votre dernier mot ? murmura-t-il.
– Absolument...
Pardonnez-moi, Battista ! Je sais que je vous confie là une mauvaise
commission mais...
– Je
crois qu’elle est même plus mauvaise encore que vous ne l’imaginez, intervint
Philippe. Que se passera-t-il si donna Fiora ne revient pas avec nous, Colonna ?
Je jurerais que vous en répondez... peut-être même sur votre tête ?
– Ce
n’est pas possible ! protesta Fiora. Il ne peut pas rendre cet enfant responsable
de ma conduite ?
– C’est
très possible au contraire. Quand le duc Charles entre en fureur, il ne
raisonne plus, ne se contrôle plus... et vous l’avez peut-être offensé
gravement ? Que lui avez-vous dit ?
– Je
ne sais plus exactement mais je crois que j’ai parlé d’infamie... de lâcheté...
Battista, je vous en prie, dites-moi la vérité ! Messire de Selongey
a-t-il raison ?
Pour
toute réponse le jeune Colonna baissa la tête...
– C’est
indigne ! fit Fiora avec dégoût. Comment peut-on abuser à ce point de son
pouvoir ! Et vous, Philippe, comment pouvez-vous servir un tel maître ?
– Je
connais ses défauts mais aussi ses qualités. En outre, il a reçu mon allégeance
lorsqu’il m’a armé chevalier et derechef lorsqu’il m’a conféré la Toison d’or...
– Moi
aussi j’ai reçu votre serment, dit Fiora doucement.
– L’un
ne me délie pas de l’autre. Je reviens vers lui pour me battre à ses côtés
contre
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