Fiora et le Téméraire
s’emparer
du château de Vaumarcus, clé du passage le long du lac.
En
effet, la longue plaine accidentée qui s’étendait entre les monts du Jura et l’immense
nappe d’eau était large d’une demi-lieue à la hauteur de Grandson mais allait
en se rétrécissant pour se trouver enfin coupée par un éperon boisé qui, de la
montagne, descendait jusqu’au rivage. Deux routes seulement permettaient de
franchir cet obstacle : l’une, la « Via Detra » qui suivait au
flanc de la montagne le tracé d’une ancienne voie romaine et l’autre qui
longeait le lac dont les lointains se perdaient vers le nord. Vaumarcus
commandait cette seconde voie... Le duc expliqua :
– Notre
belle cousine Madame la duchesse de Savoie nous a donné avis des bruits qui
courent le pays de Vaud. Quelques milliers d’hommes des Cantons menés par ceux
de Berne se rassembleraient à Neuchâtel pour marcher ensuite contre nous. Ils
ne sont guère à craindre pour les guerriers que nous sommes mais nous allons
tout de même les gagner de vitesse...
– Pourquoi
ne pas les attendre ici ? fit le Grand Bâtard. Le camp est bien protégé,
tant par le cours de l’Arnon et par les fossés et autres ouvrages que nous
avons établis que par nos canons. En outre, ces montagnards ont peu de
cavalerie. La nôtre, en plaine, pourrait s’éployer largement...
– Peut-être
mais je crois que notre meilleure alliée est la rapidité. Allez vous assurer de
Vaumarcus pour nous y appuyer au besoin. Ensuite je mettrai l’armée en marche.
L’effet de surprise jouera pleinement et nous tomberons sur Neuchâtel avant
même que ces gens aient formé de véritables corps de troupe.
– Donc
vous levez le camp ?
– Non.
Rien ne presse. Je vous l’ai dit, la vitesse est notre arme la meilleure et
nous ne pouvons nous encombrer des chariots de bagages, des registres de la
Chancellerie et de toutes ces femmes que nous traînons après nous. Croyez-moi,
nous allons faire là une promenade militaire et nous serons devant Neuchâtel
sans avoir peut-être besoin de tirer l’épée.
– Emmenez-vous
les ambassadeurs [xxii] ?
– Pour
ce qui me concerne, dit Panigarola, je suivrai monseigneur à moins qu’il ne me
le défende. Ne suis-je pas les yeux et les oreilles de mon noble maître ? Sa
voix aussi parfois...
– Vous
êtes plus qu’un ambassadeur car nous avons de l’amitié pour vous, fit le duc
aimablement. Vous serez à nos côtés...
– Puis-je
espérer que vous y serez seul ? fit audacieusement Philippe les yeux sur
Fiora. Certains pages me semblent un peu fragiles pour le poids de l’armure...
Le
Milanais surprit ce regard et sourit :
– Monseigneur
le duc laisse au camp ses trésors. Avec sa permission, j’en ferai autant de
celui qu’il m’a confié.
Le
lendemain 1 er mars, le château de Vaumarcus tombait sans coup férir
aux mains des Bourguignons qui y placèrent garnison et, à l’aube du samedi 2
mars, l’armée s’ébranla pour ce que le duc avait appelé « une promenade
militaire »...
Le
souvenir de ce matin frileux devait rester longtemps gravé dans la mémoire de
Fiora. Debout au seuil de sa tente, serrant autour d’elle le grand manteau
fourré que le duc Charles lui avait donné, elle le regarda s’éloigner dans la
plaine, statue de fer couronnée d’un lion d’or, sur le puissant destrier le
Moro, son cheval favori que le caparaçon d’acier changeait en bête apocalyptique
et sous la flamme ondoyante de son étendard haut tenu par un chevalier
banneret. Autour de lui, des chevaliers de la Toison d’or que distinguaient
seulement leurs écus : un monde fantastique de griffons, de léopards, d’alérions,
de taureaux, de chimères et de sirènes... Une fleur de lis d’or dont les
pointes étaient des pierres précieuses dansait sur la tête du cheval ducal,
symbole dérisoire et jamais abandonné de ce sang royal français que cependant
le Téméraire abhorrait...
Le
jour qui se lève est gris, le ciel blême... Sur la gauche, le mont Aubert et le
Chasseron sont encore enneigés et le lac a des reflets de mercure... Tout
là-bas, l’avant-garde, revenue de Vaumarcus, serpente à travers les vignes sur
la « via Detra » cependant que le gros de l’armée contourne Grandson
pour suivre le chemin de la rive et finir par disparaître. Mais cette armée
semble bizarre à celle qui l’observe : le duc n’a pas pris soin de la
ranger en bataille ; elle progresse sans
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