Fiora et le Téméraire
discipline et même avec une sorte
de laisser-aller. Il est vrai qu’en principe on ne va pas se battre mais
parcourir une certaine distance pour aller surprendre les Suisses chez eux... C’est
tout juste si l’on n’espère pas les trouver à table.
Ce que
le Téméraire n’imagine pas un seul instant, c’est qu’à Neuchâtel s’est
rassemblée une armée qui réunit des soldats d’élite, les meilleurs d’un pays
qui en comporte presque autant que d’habitants mâles. Il y a là ceux de Bâle,
venus avec un contingent de Strasbourg, ceux de Fribourg, de Soleure, de Bienne,
de Baden et de Thurgovie. L’avoyer Hassfûrter a mené de Lucerne mille neuf
cents hommes. Heinrich Goldli et Hans Waldmann ont conduit les gens de Zurich
tandis que Schachnachthal et Hallwyll sont à la tête des sept mille hommes de
Berne. Schwyz a envoyé le tiers de sa population sous le commandement de
Rudolph Reding, soit mille deux cents hommes et les petits cantons montagnards
d’Uri et d’Unterwalden chacun cinq cents. En tout quinze à vingt mille hommes
qui, eux aussi et à la même heure que les Bourguignons, se sont mis en marche
vers Grandson pour venger leurs frères massacrés... Charles va trouver en face
de lui la plus redoutable infanterie d’Europe mais il ne le sait pas encore et
il devise agréablement au long du chemin avec son autre demi-frère Baudoin,
avec le prince d’Orange, avec Jean de Lalaing et Olivier de La Baume-Vers midi,
Fiora et Battista qui jouaient aux échecs s’arrêtèrent et se tournèrent d’un
même mouvement vers le nord. Dans le lointain, un bruit étrange se faisait
entendre : une sorte de long mugissement que la distance atténuait mais
qui, sur place, devait être effrayant. Cela s’arrêtait puis reprenait et la
jeune femme sentit un frisson glacé courir le long de son dos :
– Qu’est-ce
que c’est ? demanda-t-elle.
– Ma
foi, je n’en sais rien, dit Léonarde qui cousait assise auprès de la table et
qui, à tout hasard, fit un signe de croix.
– J’ai
entendu dire, fit le page d’une voix changée, que les montagnards suisses ont
de grandes trompes dans lesquelles ils soufflent et que l’on peut entendre à
plusieurs lieues... Si c’est bien cela, c’est que...
– Que
le duc, qui ne s’y attend pas, a rencontré les Suisses, acheva Fiora... Mon
Dieu ! Ce bruit terrible vous glace le sang.
Ensemble,
la jeune femme et l’enfant sortirent. Le meuglement s’était tu et c’était à
présent le silence. Dans Grandson où, sur la rive, les cadavres des suppliciés
n’avaient pas été dépendus, on n’apercevait aucun mouvement. Sur les chemins de
ronde, les gardes étaient immobiles écoutant eux aussi... Puis, il s’éleva une
grande rumeur...
– C’est
trop loin pour voir quelque chose, dit Battista, mais on se bat là-bas ! ...
Plus
personne, dès lors, ne parla. Le cœur serré, Fiora pensait à Philippe. Sa
vaillance était connue. Il devait être au plus chaud de la bataille, toujours
prêt à donner sa vie pour son duc... Alors, elle alla s’agenouiller auprès de
Léonarde qui priait et partagea de tout son cœur son oraison...
Ce fut
vers le milieu de l’après-midi que la catastrophe se produisit. On vit soudain
l’armée bourguignonne, semblable à une énorme vague étalée sur la plaine,
refluer en désordre, hommes, chevaux et voitures mêlés dans une effroyable
confusion tandis que rugissaient de nouveau – et tellement plus proches ! –
les terribles trompes d’Uri et de Lucerne que, cependant, un énorme « Sauve
qui peut ! » réussissait à couvrir.
– En
fuite ! articula Battista effondré. L’armée est en fuite ! ...
Ce qui
suivit fut, pour Fiora, comme un mauvais rêve. Panigarola surgit couvert de
poussière avec des taches de sang :
– Vite !
Aux chevaux ! Il faut rejoindre le duc ! ...
Quelques
instants plus tard, Fiora se retrouva, galopant en direction d’Orbe avec
Léonarde, Battista et l’ambassadeur qu’avaient rejoints son secrétaire, ses
serviteurs et ses chevaux. Ils n’étaient pas seuls d’ailleurs : tous ceux
qui avaient la garde du camp fuyaient, à pied, à cheval ou en voiture, sans
trop savoir où ils allaient mais terrifiés par les rugissements qui se
rapprochaient...
– Que
s’est-il passé ? demanda Fiora.
– Une
chose invraisemblable : alors que certaines de nos troupes effectuaient un
repli, celui-ci a été pris pour une fuite par les troupes qui
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