Fiora et le Téméraire
monde fragile et charmant de sa
jeunesse continuait de s’abîmer, peut-être de se détruire. Florence avait vécu
ses plus belles fêtes, ses plus douces heures parce que c’était le sourire de
Simonetta qui les inspirait.
Qui
veut être heureux se hâte Car nul n’est sûr du lendemain disait
la chanson prophétique de Lorenzo. Fiora pensa que, par deux fois, le bonheur
était passé auprès d’elle sans qu’elle pût le saisir. Il ne repasserait pas une
troisième fois...
Contrairement
à ce que l’on craignait, le Téméraire se rétablit, rasa sa barbe et revint à
ses affaires. Le 6 mai, encore convalescent, il signait en privé, dans sa
chambre, avec le protonotaire Hessler et en présence de Mgr Nanni, l’accord de
mariage entre sa fille et le fils de l’empereur. Le mariage devrait avoir lieu
en novembre à Cologne ou à Aix-la-Chapelle.
C’était
la seule bonne nouvelle.
Les
mauvaises par ailleurs affluaient. Les Suisses poursuivaient leurs combats
contre la Savoie. Les gens du Valais tenaient la haute vallée du Rhône et, dans
le Val d’Aoste, les troupes vénitiennes et lombardes recrutées pour le
Téméraire ne pouvaient franchir le col du Grand-Saint-Bernard. Envoyé contre
les Valaisans, le beau-frère de Yolande, le vaillant comte de Romont, avait dû
battre en retraite et les Suisses avaient envahi l’est et le sud du lac Léman.
De Lausanne on pouvait voir les incendies qu’ils avaient allumés... Enfin il
fallut bien avouer au duc ce qui s’était passé en Lorraine.
Charles
était trop faible encore pour piquer l’une de ses colères dévastatrices mais il
pressa ses préparatifs. Trois jours après l’accord de mariage, il montait à
cheval vêtu d’une tunique de soie brodée d’or et doublée de martre – le poids
de l’armure était encore trop lourd pour ses épaules amaigries et pendant
quatre longues heures alla passer la revue de ses troupes dont il avait modifié
l’armement. Ainsi ses hommes avaient reçu des piques aussi longues que celles
des Suisses et il avait réduit sa cavalerie. L’effectif était d’environ vingt
mille combattants dont un tiers de mercenaires peu sûrs et un quart de
Savoisiens fermement décidés, eux, à se battre jusqu’au dernier. Il fut décidé
que le 27 mai on se mettrait en route pour Berne. L’armée, elle, allait prendre
position à Morrens, à environ une lieue au nord de Lausanne. La veille du
départ, Fiora, qui rejoignait le duc avec Panigarola, fit ses adieux à Léonarde
qui devait rester à l’auberge du Lion d’or en compagnie de Battista. Car, bien
sûr, il ne pouvait être question d’emmener la vieille demoiselle dans cette
expédition militaire.
Ce
furent des adieux muets. Sachant toute prière inutile devant la farouche
détermination de la jeune femme, Léonarde embrassa Fiora sans rien dire mais
elle la serra très fort contre elle et des larmes coulaient lentement sur son
visage.
– N’ayez
pas trop peur, donna Léonarda, rassura Panigarola qui vint la saluer après la
sortie de Fiora. Je veillerai sur elle. Il est bien rare que l’on tue un
ambassadeur...
– Mais
on dit... que les Suisses ont juré de ne pas faire de prisonniers !
C’était
exact. Dans tous les cantons, on avait levé un homme sur deux, ce qui
représentait une puissante armée et tous avaient fait serment de tuer
sur-le-champ leurs captifs.
– Sans
doute. Et monseigneur en a dit autant mais je ne serai pas prisonnier non plus
et donna Fiora demeurera auprès de moi. La bannière de Milan est connue. Sa
vipère sera pour nous deux une bonne protection...
– Je
sais que vous êtes bon et que vous l’aimez bien, messire ambassadeur,... mais
elle veut mourir... et elle est l’enfant de mon cœur.
Il
prit les deux mains de la vieille demoiselle et les serra :
– Je
saurai bien l’en empêcher. Et puis... elle ne sait pas ce que c’est que se
trouver au cœur d’une bataille. Si courageuse soit-elle, l’instinct de
conservation sera le plus fort...
– Je
ne la comprends plus. Faut-il qu’elle aime encore Philippe de Selongey pour en
arriver là ! ...
– Il
n’arrive jamais que ce que Dieu a voulu. Priez pour elle... mais ne vous
tourmentez pas outre mesure !
Lui,
cependant, n’était pas sans inquiétude. Cette campagne était une folie plus
grave encore que celle de Grandson. Vaincre les Suisses ne rapporterait rien à
Charles, ou si peu, alors qu’une défaite serait irrémédiable. Il eût
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