Fiora et le Téméraire
été si
simple de s’asseoir autour d’une table et de discuter... mais comment faire
entendre raison à un homme obsédé par les blessures de son orgueil ? « Mourir
plutôt que d’accepter la honte ! ... » Il ne cessait de répéter cela
et tout ce que Panigarola put obtenir de lui c’était que l’armée avancerait
avec une sage lenteur. En revanche, il fut impossible de l’empêcher, au lieu de
se diriger droit sur Berne, d’aller mettre le siège devant la petite ville
forte de Morat, au bord du lac du même nom.
– Comment
ne comprend-il pas, confia le Milanais à
Fiora,
qu’il va user ses forces contre cette taupinière au lieu de marcher droit sur l’ennemi ?
A Grandson il n’a pas su attendre enfermé dans son camp retranché, cette fois
il va s’arrêter, ce qui donnera aux Suisses tout le temps de le prendre à
revers...
Mais
le duc était au-delà de tout raisonnement logique. Il voulait abattre tout ce
qui se trouvait sur son chemin et qui portait le nom de Suisse. Le 11 juin, il
faisait investir Morat et installer son camp au bord du petit lac qu’une mince
arête montagneuse séparait de celui de Neuchâtel...
Au
matin du samedi 22 juin, Panigarola et Fiora, au trot paisible de leurs
chevaux, effectuaient une promenade sur les arrières du camp. Il ne faisait pas
beau et même il pleuvait mais ni l’un ni l’autre ne se supportait plus dans les
tentes où il régnait une accablante chaleur. Il y avait eu une petite
escarmouche dans la nuit du 20 au 21 mais rien de sérieux et tout était
tranquille. La campagne, verte et boisée, était belle et fraîche et, en
tournant le dos au camp, il était possible d’oublier un instant que l’on y
était en guerre. Fiora avait même retiré le chapeau de fer que le duc l’obligeait
à porter. Elle en aurait fait volontiers autant de la chemise de mailles dont
il l’avait nantie quand elle lui avait refusé de s’introduire dans une armure,
en disant qu’elle serait incapable de bouger sous une telle carapace. Mais
Panigarola ne le lui aurait pas permis.
Les
deux cavaliers avaient traversé le camp en répondant gaiement aux saluts et aux
sourires qu’ils récoltaient. La jeune femme était populaire dans l’armée. Non
parce qu’elle était la seule de son sexe – le Téméraire, en effet, avait fait
chasser les ribaudes avant le départ de Lausanne – mais parce que l’on admirait
son courage, sa gentillesse et ce vœu qu’elle avait fait de porter au combat
les armes de son époux défunt pour que les aigles d’argent de Selongey puissent
encore flotter au vent d’une bataille.
Fiora
et son compagnon en dépit de la mise en garde des sentinelles avaient franchi
la ligne de défense et atteignaient une petite éminence quand, soudain, la
pluie s’arrêta et le ciel parut s’éclairer. Secouant sa tête mouillée, la jeune
femme lui offrit un sourire et allait dire quelque chose quand l’ambassadeur s’écria :
– Regardez !
Par Dieu... nous allons être balayés !
Des
forêts avoisinantes, les Suisses jaillissaient par centaines, par milliers,
arquebusiers devant, piquiers derrière. Ils couraient vers le camp ennemi qui
ne les attendait pas. D’un même mouvement les deux amis firent volter leurs
chevaux et foncèrent vers les palissades en hurlant à pleins poumons :
– Alerte !
... Nous sommes attaqués, alerte ! Le camp se referma derrière eux et
avant même qu’ils eussent atteint la tente ducale, les canons et les arquebuses
commençaient à tonner, étouffant l’appel lugubre des trompes montagnardes qui
se faisaient entendre.
Le
Téméraire était avec son médecin quand Fiora et Panigarola firent irruption
chez lui.
– Vite !
Mes armes, ordonna-t-il. Et tandis qu’un écuyer allait chercher son cheval, l’ambassadeur
et Matteo de Clerici le bouclèrent dans son armure. Puis tous sortirent de la
tente, sautèrent en selle et coururent sus à l’ennemi derrière le grand
étendard que brandissait Jacques van der Maes. La bataille déjà faisait rage,
les palissades étaient enfoncées, les lignes bourguignonnes rompues. Et tout de
suite, Fiora épouvantée se trouva au centre d’une mêlée furieuse dans laquelle,
tout à coup, elle vit s’abattre l’oriflamme de Bourgogne et celui qui la
portait. Elle fit reculer son cheval pour échapper à ce piège, sans même songer
à décrocher la hache d’armes qui pendait à sa selle. L’animal affolé s’enfuit
vers le lac où
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