Fiora et le Téméraire
mal pour croire une telle vilenie ?
Ceux qui colportent ces ragots démontrent en tout cas ceci : c’est qu’ils
ne connaissent absolument pas le duc. Jamais, à l’exception de sa duchesse, il
ne touche une femme. Jamais il n’a eu de maîtresse. Les débauches de son père
lui en ont inspiré l’horreur.
– En
ce cas, que fais-tu auprès de lui ?
– Tu
ne trouves pas que tu poses beaucoup de questions ? A mon tour à présent
de te demander ce que tu fais là ? Aux dernières nouvelles que m’a données
Léonarde tu t’étais pris d’une immense amitié pour René de Lorraine au point de
ne plus le quitter d’une semelle ? Et te voici chez les Suisses ?
– Pour
une excellente raison : le duc René est ici. Il a chargé les Bourguignons
en fuite à la tête d’un corps de cavalerie alsacienne et, comme d’habitude, j’étais
avec lui. Il sera là dans un instant.
– Qu’est-ce
que tu veux que ça me fasse ? Oh, je sais ! il paraît que c’est un
garçon de bel avenir ? Tu aurais pressenti en lui un grand capitaine ?
Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’en donne guère l’impression. Dès qu’il
essuie une défaite, il se sauve à toutes jambes sous prétexte d’aller chercher
du renfort... et on ne le revoit plus. Pendant ce temps les Lorrains ont
supporté tout le poids de la guerre... Le duc Charles qui l’appelle « l’Enfant »
sait ce qu’il dit – et, si je comprends bien, tu es devenu sa nourrice ?
Démétrios
se mit à rire, d’un rire qui avait quelque chose de féroce.
– C’est
facile d’accuser quand on ne sait comment se défendre ? As-tu oublié le
serment du sang ?
– Non,
je ne l’ai pas oublié et j’ai rempli, moi, la mission dont m’avait chargée le
roi Louis. J’ai détaché Campobasso du parti bourguignon et Dieu sait ce qu’il m’en
a coûté ! Dieu et Esteban d’ailleurs, car je suppose qu’il t’a rejoint ?
– Oui.
Il m’a dit en effet ce que tu avais dû supporter...
– Sans
lui, je serais morte, mais les dangers que j’ai courus ne t’ont pas beaucoup
empêché de dormir. J’ai failli être exécutée par le duc et j’ai manqué mourir sous
l’épée de Campobasso... enfin j’ai perdu... Philippe... que je venais de
retrouver et c’était pour essayer de le rejoindre et aussi pour que ses
couleurs paraissent encore auprès de l’étendard de Bourgogne que je suis ici.
Les
larmes qui enrouaient sa voix augmentaient sa colère car elle s’en voulait de
trahir ainsi sa faiblesse devant cet homme. Elle l’avait cru son ami mais il
avait suffi que ce misérable petit duc lorrain passât entre eux pour le changer
en ennemi impitoyable.
– Bravo !
Je vois que tu es devenue une bonne Bourguignonne, l’amie même de ce prince
dont tu avais juré la mort ?
– Je
ne suis pas son amie mais il s’est montré bon pour moi. Il a essayé d’apaiser
ma douleur et, même, il m’a avoué pourquoi il n’avait pas sauvé Jean de Brévailles
que cependant il aimait...
– Et
tu l’as cru, bien sûr. C’est si facile quand on a envie de croire !
– Et
si facile de nier l’évidence quand on tient à rester aveugle ! Seulement j’attends
encore de voir ce que tu as fait, toi, pour tenir le serment ?
– Plus
que tu ne crois peut-être. Je sais que René II a été désigné par le destin pour
vaincre le Téméraire et c’est ce qu’il vient d’effectuer aujourd’hui... Ton duc
est en fuite et je te ferai remarquer qu’il t’a abandonnée.
– Si
le tien a vaincu, ce n’est certes pas tout seul. Je dirai même que tout le
mérite en revient aux Suisses. Mais, Démétrios, si tu tiens tant à la mort de
Charles de Bourgogne, pourquoi donc ne cherches-tu pas à l’approcher ? Un
médecin étranger, ce serait d’autant plus facile qu’il est malade. Vas-y et
tue-le ? ... Non ? Cela ne te dit rien ? Evidemment, tu n’en
sortirais pas vivant et quelque chose me dit que tu tiens à la vie désormais.
– Pas
plus qu’avant mais j’ai encore à faire. Par ailleurs, toi, il te serait facile
d’en délivrer la terre qu’il écrase de son orgueil et de sa folie. Avec ceci,
par exemple...
Du sac
de peau qui pendait à sa ceinture, Démétrios tira une petite fiole qu’il fit
miroiter à la lumière d’un chandelier :
– Trois
gouttes et le Téméraire n’aura plus le loisir de faire massacrer ses peuples, à
commencer par ses soldats ! Tu entends ces cris ? Les
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