Fiora et le Téméraire
médailles étaient fixées.
– Les
jolies bêtes ! s’exclama Fiora. Elles donnent l’impression de sortir
vivantes d’une légende... Et comme elles semblent aimer l’homme qui s’en occupe !
– Elles
l’aiment beaucoup en effet, assura Commynes avec un clin d’œil complice à
Esteban. Voulez-vous que nous les voyions de plus près ?
Il
avait déjà mis pied à terre et offrait sa main à la jeune femme pour qu’elle en
fît autant. Celle-ci hésita :
– Est-ce
bien prudent, pour un instant de plaisir, de faire attendre le roi ? On le
dit peu patient...
– Venez
toujours ! Je vous promets que vous aurez droit à toute son indulgence...
Un peu
à contrecœur, Fiora se laissa conduire. Esteban demeura sur place, réunissant
les trois brides dans ses mains. Sentant l’approche d’étrangers, les lévriers
cessèrent déjouer et se figèrent, leurs têtes fines tournées vers les nouveaux
venus. Ce que voyant, le valet se retourna. Sous l’œil stupéfait de Fiora,
Commynes mit un genou en terre :
– Sire,
dit-il me voici de retour ayant accompli les deux missions que le roi avait
daigné me confier ! Puis, entre ses dents il ajouta : « Saluez,
que diable ! »
Et
Fiora, machinalement, plia les genoux pour une profonde révérence.
– Bien,
bien ! fit le roi. Vous m’avez, une fois de plus, bien servi, messire
Philippe et je vous en remercie. Voulez-vous à présent me laisser seul avec
cette jeune dame dont j’espère qu’elle nous fera la grâce d’ôter son voile ?
Mais ne vous éloignez pas : nous aurons à parler !
Sans
quitter son inconfortable position, à demi agenouillée, Fiora rejeta sa
mousseline par-dessus le double bourrelet de soie qui lui servait de coiffure,
libérant son visage. Mal revenue de sa surprise, elle contemplait ce petit
homme sans apparence qui cependant était le roi de France. Il n’était pas bien
beau ni jeune – cinquante-deux ans depuis la Saint-Anatole dernière – mais sous
le regard dominateur de ses yeux bruns profondément enfoncés dans leurs
orbites, la jeune femme se sentit rougir et baissa la tête ayant tout juste eu
le temps de remarquer le long nez sardonique, la bouche mince, sinueuse et
mobile, mais elle savait déjà que, dût-elle vivre mille ans, elle n’oublierait
jamais ce visage. On lui avait dit que cet homme possédait l’intelligence la
plus subtile, la plus profonde qui soit et dès ce premier regard elle en avait
été persuadée.
Cependant,
Commynes s’éloignait sans qu’on ait encore autorisé Fiora à se relever. Et,
soudain, elle vit, sous son nez, une longue main sèche qui se tendait vers elle
pour l’aider à se redresser tandis qu’une voix aimable prononçait :
– Madame
la comtesse de Selongey, soyez la très bien venue.
La
stupeur faillit rejeter Fiora à terre. Elle vacilla comme sous l’assaut d’un
brusque coup de vent et devint si pâle que le souverain la crut sur le point de
s’évanouir :
– Hé
quoi ? fit-il d’un ton mécontent, n’est-ce point là votre nom ? Nous
aurait-on trompé ?
Comprenant
qu’elle avait en face d’elle un redoutable adversaire, Fiora au prix d’un
violent effort sur elle-même parvint à se ressaisir.
– Que
le roi me pardonne une émotion dont je n’ai pas été maîtresse, fit-elle
doucement. C’est la première fois que je m’entends nommer ainsi et je ne suis
pas certaine d’avoir droit à ce titre, à ce nom. Messire de Commynes m’est venu
dire que le roi voulait voir Fiora Beltrami. C’est elle... et nulle autre qui a
l’honneur d’être dès cet instant aux ordres de Votre Majesté...
La
révérence, réitérée, fut la perfection même : un miracle de grâce et d’élégance
et le dur regard appréciateur s’adoucit d’une pointe de gaieté :
– Ha
ha ! Il y a là une sorte de mystère il me semble ?
Voulez-vous,
comtesse, que nous marchions un peu pour tirer cela au clair ? Tout beau, les
chiens ! Suivez-nous et qu’on ne vous entende pas !
Ils
firent en silence quelques pas dans l’herbe encore humide d’une petite pluie
qui avait rafraîchi le début de l’après-midi. Désorientée par la brusque
apostrophe dont elle avait été l’objet, et cherchant désespérément comment
Louis XI pouvait être au courant de son étrange mariage, Fiora se perdait en
conjectures. Il était impossible, impensable que Démétrios se fût rendu
coupable de bavardages inconsidérés. Alors ? Qui ?
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