Fiora et le Téméraire
souvenons pas d’avoir
en quelque point que ce soit offensé le vicaire du Christ...
– Ta
mémoire est courte, roi, et surtout complaisante. Tu oublies bien facilement
que, depuis sept ans, tu détiens en dure prison un prince de la sainte Eglise.
Le pape m’envoie t’ordonner de libérer sur l’heure le cardinal Balue !
Le
visage de Louis XI se ferma et un éclair jaillit de sous sa paupière :
– Jean
Balue est un traître qui méritait la mort car il n’a pas craint de comploter
contre nous avec les gens de Bourgogne. Contre nous qui, d’un fils de meunier,
avons fait un prélat couvert de richesse et d’honneurs, contre nous qui avons
demandé et obtenu pour lui le chapeau de cardinal. Qu’il se tienne satisfait d’être
encore en vie !
– C’est
croupir au fond d’une cage, comme une bête fauve, que tu appelles être en vie ?
Tu n’avais aucun droit de porter la main sur un homme de Dieu qui relève
uniquement du pape.
– Nous
avons tous les droits et le pape le sait bien qui a accepté voici trois ans le
Concordat de Tours ! Nous serions tout disposé à faire un geste
susceptible d’alléger le cœur de Sa Sainteté à condition qu’il ne s’agisse pas
des affaires du royaume. Et il s’agit précisément d’une affaire du royaume...
– Tu
refuses d’élargir le cardinal ?
– Positivement !
– Consens-tu
toutefois à lire la lettre que t’adresse Sixte IV ?
– Une
lettre ? Que n’avez-vous commencé par là, révérend frère...
Fray
Ignacio tira de sa manche un mince rouleau de parchemin attaché d’un ruban
blanc et scellé d’un large sceau doré que Louis XI reçut avec révérence et dont
il baisa même le sceau avant de se tourner vers son chancelier pour qu’il
décachette le message. A cet instant, Fiora bouscula Démétrios et s’élança sur
le moine qui, déséquilibré, tomba à terre, laissant échapper le long couteau
qui, dans sa main, venait de remplacer le parchemin. Les yeux vifs de la jeune
femme rivés à fray Ignacio avaient entrevu l’arme, l’espace d’un éclair, et sa
réaction avait été immédiate ; foncer droit devant elle avec une seule
idée : écarter du roi la menace de mort qu’elle venait d’entrevoir. Le
lévrier avait réagi avec la même impétuosité et, les pattes sur la poitrine du
moine, il tenait sa gorge sous la menace de ses crocs. Fiora cependant se
relevait, ramassait le poignard et, genou en terre, l’offrait à Louis XI :
– Sire,
cet homme voulait tuer le roi !
Sans
rien dire, celui-ci saisit l’arme et l’examina, prenant tout son temps et apparemment
peu pressé de rappeler son chien qui grondait toujours, ce qui, d’ailleurs,
paraissait inquiéter assez peu fray Ignacio. Si son visage n’était plus qu’un
masque de fureur impuissante c’est uniquement parce qu’il venait de reconnaître
Fiora :
– La
Florentine ! cracha-t-il. La sorcière damnée ! Elle est ici et elle
tente de m’imputer ses intentions criminelles ! ... C’est elle, c’est elle
qui a apporté ce poignard, c’est elle qui...
-Qui s’apprêtait
à nous tuer ? fit paisiblement Louis XI. Je suis avant tout ami de la
logique et de la vraisemblance. Si l’idée de donna Fiora était de nous navrer,
elle en avait tout le loisir l’autre jour à l’abbaye de la Victoire. Nous avons
longuement parlé ensemble tête à tète. Ce que nous aimerions savoir plutôt, c’est
en quelles circonstances elle a pu rencontrer cet étrange serviteur de Dieu.
Ayant
déjà mis genou en terre, Fiora levait vers le roi ses grands yeux gris dont
aucun nuage ne troublait la limpidité :
– S’il
plaît au roi de m’entendre, je lui dirai tout.
– Et
nous l’entendrons avec plaisir. Tout enfant déjà nous aimions fort les
histoires de brigands. Messire de Commynes, veillez donc à conduire donna Fiora
dans notre oratoire où nous la rejoindrons sous peu... A présent, « Cher
Ami », retourne te coucher. Tu nous as bien servi et tu auras ta
récompense. Capitaine Kennedy !
L’officier
qui commandait la Garde Écossaise vint se placer auprès du moine qui, toujours
à terre, n’osait se relever par peur des crocs du lévrier qui, bien qu’ayant
obéi, grondait toujours :
-Aux
ordres du roi ! Qu’ordonne-t-il ?
– A
Dieu ne plaise que nous trempions nos mains dans le sang de cet assassin. Ainsi
tu voulais mourir pour Balue, pauvre fou ?
– Je
ne le connais même pas ! C’est pour ma reine,
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