Fiora et le Téméraire
frapper un membre de
la sainte Eglise mais il nous paraît un peu désinvolte de n’avoir pas mis ce
fanatique hors d’état de nuire. Quand le pape néglige ce qu’il doit aux princes
chrétiens, il est du devoir de ceux-ci de mettre leurs terres, leurs gens et
leur personne à l’abri. Fray Ignacio Ortega va pouvoir réfléchir longuement sur
les dangers qu’il y a à mélanger les genres : ou l’on est un homme de
Dieu, ou l’on est un espion et un assassin.
– Il
est peut-être aisé de passer de l’un à l’autre dès l’instant où l’on se mêle de
politique et je crois savoir que beaucoup de prêtres s’en occupent ?
– Et
le pape plus encore que tous les autres ! Je crains qu’il ne soit un
souverain temporel beaucoup plus qu’un père spirituel. En outre, il ne nous
aime pas. C’est notre beau cousin, le duc Charles, qui a ses préférences. Il l’a
clairement prouvé en lançant son légat, l’évêque de Forli Alessandro Nanni,
entre lui et l’Empereur lors de l’affaire de Neuss. Grâce à l’habileté de
celui-ci, il n’y a eu ni vainqueur ni vaincu. On s’est réconciliés, du bout des
lèvres sans doute, mais le Téméraire a pu retirer ses troupes qu’en ce qui nous
concerne nous trouvions fort bien là où elles étaient. Il se trouvait libre
alors de s’occuper de nous...
– Mais
il n’en a rien fait ?
– Il
est difficile de faire la guerre quand on manque d’argent et de troupes
fraîches. Ce moine devait être un bon moyen d’en finir une fois pour toutes
avec le roi de France...
– Le
roi est-il certain... qu’il ne pourra pas s’échapper ? Louis XI plissa des
yeux, laissant filtrer une lueur de gaieté et sourit :
– Si
nous en avons le loisir dans les temps à venir, nous vous présenterons notre
château de Loches. Viendrait-il des ailes à ce moine, qu’il ne pourrait s’en
envoler. Mais assez parlé de châtiment ! Vous nous avez sauvé la vie et
nous souhaitons vous en témoigner une gratitude à la mesure du service rendu.
Que voulez-vous ?
Derechef
Fiora plia le genou puis, inclinant la tête :
– Je
sais que je vais demander beaucoup au roi mais tout ce que je désire c’est la
vie... et la liberté du comte de Selongey.
Le
silence qui suivit fut si pesant que la jeune femme frissonna et, sans oser
relever les yeux, ajouta d’une voix faible mais cependant audible :
– Je
ne désire rien d’autre, sire...
Toujours
sans rien dire, Louis XI prit à deux doigts le menton de Fiora et considéra
longuement les grands yeux gris aux cils desquels perlait une larme.
– Pauvre
enfant ! soupira-t-il doucement. Amour vous tient en plus cruelle prison
que ne sont les geôles de Loches ! Non, n’ajoutez rien ! ... Nous
étions persuadé, en venant dans cette chapelle, que vous demanderiez la grâce
de cet homme. Nous vous devons trop pour vous la refuser... bien que cela
contrarie les espoirs que nous avions misés sur vous. Relevez-vous !
Il se
détournait, allait prendre la statuette de sainte Angadresme qu’il scruta comme
s’il pensait y trouver un défaut.
– Sire,
commença Fiora, la reconnaissance que je...
– Non !
Ne remerciez pas ! Peut-être... ne méritons-nous pas autant de gratitude
que vous l’imaginez... En vous faisant venir ici, nous avions pensé, surtout
vous ayant vue, que vous seriez pour nous... un bon otage, tout à fait de
nature à déterminer le sire de Selongey à nous servir. Vous nous avez laissé
entendre que notre prisonnier ne tenait pas à vous à ce point-là ! Dès
lors, nous avions conçu un autre plan : obtenir vos services contre le
Téméraire en vous faisant espérer sa grâce. Ce maudit moine et son poignard
sont venus se mettre tout à la traverse... Enfin ! soupira-t-il, demain
vous serez conduite à Compiègne auprès de...
– Que
le roi me pardonne de l’interrompre, sire, mais je crois que nous ne nous
comprenons pas. L’idée de la mort de celui que je croyais mon époux m’était
insupportable. Il vivra et j’en remercie la clémence du roi mais je ne veux
rien d’autre. N’ai-je pas dit l’autre jour à Votre Majesté que j’étais disposée
à la servir si, ce faisant, je pouvais assouvir la haine que j’éprouve pour le
duc de Bourgogne ? Rien n’est changé.
Louis
XI baisa dévotement la précieuse figurine avant de la replacer sur son support.
Sans se retourner vers Fiora il demanda :
– Vous
ne souhaitez pas lui porter vous-même la
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