Fiorinda la belle
longtemps cette fois. Vers cinq heures, un moine monté sur une mule, franchit le pont-levis. Car l’abbaye avait ses ponts-levis tout comme le Louvre ou la Bastille.
Du coup, les parties s’interrompirent net. Beaurevers se mit à suivre le moine qui ne semblait pas pressé et laissait aller sa mule au pas. Trinquemaille demeura sur les lieux. Bouracan partit en courant vers la rue de Buci. Disons sans plus tarder qu’il y trouva, dans une auberge, Corpodibale, lequel sauta à cheval, et, sur les indications de Bouracan, eut tôt fait de rattraper Beaurevers qu’il se mit à suivre de loin, tenant un autre cheval en main.
Le moine fit un long détour qui l’amena sur le chemin de Montrouge.
Il paraît que c’était ce qu’attendait Beaurevers, car il le laissa aller et attendit Corpodibale, qui bientôt fut sur lui et lui présenta le cheval qu’il tenait par la bride. Beaurevers sauta en selle et ordonna :
« Je ne m’étais pas trompé : le moine va prendre la route de Chartres. Retourne d’où tu viens. Si, comme je le suppose, Trinquemaille te dit qu’il n’a rien vu qui vaille la peine d’être signalé, tu le relèveras de sa faction devenue inutile et vous rentrerez dans Paris. Seulement n’oubliez pas qu’il faut continuer à surveiller de près les faits et gestes de M. le vidame. J’ai besoin d’être renseigné là-dessus.
– Compris, monsieur le chevalier, promit Corpodibale, ce sera fait dans toutes les règles. Mais… s’il y a du neuf du côté de Trinquemaille ?
– En ce cas, Trinquemaille aura fait ce que je lui ai ordonné de faire. Tu piqueras droit vers la route de Chartres… Du train dont va ce moine, tu n’auras pas de peine à me rattraper… Et tu me diras de quoi il retourne. Mais je doute que tu aies à courir après moi. Allons, file ! »
Corpodibale piqua des deux et refit au galop la route qu’il venait de parcourir au pas.
Quant à Beaurevers, il piqua des deux lui aussi et il se lança dans un chemin de traverse. Ce chemin de traverse l’amena sur la route qu’il présumait que le moine allait suivre. D’après son calcul, ce petit temps de galop et ce détour devaient le placer à quelques centaines de toises en avant du moine.
Il alla jusqu’au haut d’une côte. Là, il mit pied à terre et attacha son cheval à un arbre. Et il attendit patiemment, scrutant la route par où devait venir le moine.
Il ne s’était pas trompé. Il ne tarda pas à le voir paraître au loin, juché sur sa mule qu’il laissait toujours aller au pas.
Lorsque le moine arriva à son tour au haut de la côte, il aperçut Beaurevers qui descendait au petit pas, à une centaine de toises devant lui. Le moine, qui déjà s’ennuyait à mourir, l’aborda résolument et la bouche fendue par un immense sourire prononça onctueusement :
« Dieu vous garde en joie et santé, mon gentilhomme. Et vous allez loin de ce train ?
– À Poitiers, répondit négligemment Beaurevers.
– C’est un assez long voyage… Moins long que le mien, cependant. Je souhaite de tout mon cœur que le Ciel vous envoie un compagnon digne de votre société… Sans quoi, mon gentilhomme, vous serez mort d’ennui avant d’arriver.
– Mais, mon révérend, il me semble que, ce compagnon, le Ciel vient de l’envoyer en votre personne. Je serais, quant à moi, enchanté de voyager en une aussi sainte compagnie. »
Et se reprenant, avec bonhomie :
« Mais peut-être ne suivons-nous pas le même chemin ?
– Si fait, fit vivement le moine, je passe par Poitiers précisément. Je viens de vous le dire, je vais plus loin que vous… Je vais… en Espagne. »
« Bon, se dit Beaurevers, j’étais à peu près sûr de mon affaire. Je le suis tout à fait maintenant : tu vas en Espagne en passant par le Béarn et la Navarre. Une autre preuve en est qu’aucun de mes compagnons ne m’a rejoint jusqu’ici… Et pourtant ils auraient eu le temps de le faire, s’il y avait eu quelque chose. »
Et tout haut, d’un air réjoui :
« Alors, voilà qui est entendu : nous faisons route ensemble jusqu’à Poitiers. Le voyage sera des plus agréables.
– Si, comme je le suppose, à en juger par votre mine, votre intention est de vous loger dans les meilleures auberges…
– Cela oui, j’y tiens essentiellement. J’aime mes aises, j’ai besoin de soins, car je suis blessé, et je ne regarde pas à la dépense, ayant la bourse bien garnie.
– En ce cas, fit
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