Fleurs de Paris
releva la tête et,
sourdement, murmura :
– Adeline !
Elle ne jeta pas un cri. Elle n’eut pas un
geste inutile. Elle saisit Gérard dans ses bras, le soutint, le
ranima de ses caresses.
– Toi ! balbutia-t-elle enivrée,
toi !… Blessé, dis ?…Oui ! blessé !… Par
qui ?… Par ton père ?… Il a voulu te tuer ?…
Oh ! le misérable !… Moi aussi, il a voulu me tuer…
Peux-tu marcher ?… Essaye… Il faut essayer… Il faut fuir, mon
Gérard… fuir, entends-tu ?… Car maintenant, nous sommes
environnés d’ennemis mortels, et demain, la police…
– La police ! gronda Gérard dans un
effort ; Oui…fuyons… soutiens-moi…
Chapitre 38 LE BARON D’ANGUERRAND
Vers cette même heure, un taxi s’arrêtait
devant un de ces modestes pavillons qu’on remarquait alors à
l’extrémité de la rue Damrémont. Le lendemain de la scène du
Champ-Marie, Hubert d’Anguerrand avait loué ce pavillon pour trois
mois. Le pavillon était tout prés de la maison du Champ-Marie.
Hubert éprouvait comme un vague besoin de ne pas s’écarter de ce
quartier. Il lui semblait que là devait être le centre des
opérations de son fils. Là, aux antipodes de la rue de Babylone,
Gérard devait dépouiller l’homme du monde pour devenir
l’escarpe…
Qu’était devenu Gérard, qu’il avait laissé
grièvement blessé ? Qu’était devenue cette jeune fille qui
s’était offerte à le conduire auprès de Lise (c’est-à-dire auprès
de sa fille) ? Le baron n’en avait aucune idée…
Après une installation sommaire dans le
pavillon, il s’était rendu à l’hôtel d’Anguerrand où, peut-être, il
avait le moyen de s’introduire secrètement et d’habiter même sans
être découvert. Là, pendant deux jours, il avait guetté… et on a vu
ce qui était résulté de son apparition soudaine au moment où
Adeline fouillait dans l’armoire aux poisons.
Du taxi que nous venons de signaler,
descendirent Lise et le baron d’Anguerrand. Lorsqu’ils furent dans
l’intérieur de la maison et qu’une lampe eut été allumée, le
premier soin d’Hubert fut d’inspecter la blessure de Lise plus
minutieusement qu’il n’avait pu le faire dans l’office de l’hôtel.
La blessure n’offrait aucune gravité. Le baron la pansa
soigneusement, et voulut alors conduire la jeune fille dans une
chambre où il y avait un lit.
– Il faut que tu dormes, dit-il ;
toutes ces émotions, cette blessure qui n’est rien en elle-même,
tout cela va te donner la fièvre. Si vraiment tu as des choses à me
communiquer, il sera temps demain…
– Tout à l’heure vous m’avez promis de me
raconter le passé.
Le baron tressaillit, pâlit, et
murmura :
– Tu le veux ? Tu veux que je parle
à l’instant même ?
– Je vous en supplie…
– Soit donc ! dit le baron d’une
voix sombre. Il faut donc, mon enfant, que je remonte à une époque
ou tu n’étais pas née encore. Tout mon malheur, et le tien, ma
fille, et celui de ton frère Edmond, viennent de ce que je n’ai pas
su, à un moment de mon existence, être franc avec moi-même. Mon
crime tient tout entier dans ces quelques mots : j’aimais une
jeune fille ; cette jeune fille était pauvre, sans naissance,
et moi, j’étais trop orgueilleux pour lui donner ma fortune et mon
nom… Et pourtant, je l’aimais !… Tout est venu de là.
Le baron, pensif, s’arrêta un moment dans sa
promenade lente et inconsciente.
Puis il reprît :
– Oui, ce fut une triste histoire que
celle des amours du baron Hubert d’Anguerrand et de Jeanne Mareil…
Je te demande pardon, mon enfant, d’exprimer sans voiles les
sentiments et les événements. Pour que tu puisses juger, il faut
des paroles claires et précises…
– Je puis tout entendre et tout
comprendre, dit Lise avec une fermeté qui l’étonna elle-même.
– Jeanne Mareil n’était pas belle
seulement. Elle était intelligente. Elle avait reçu une instruction
de beaucoup supérieure à celle des filles du canton. Élevée parmi
les plus riches demoiselles d’Angers, elle avait acquis le charme
des manières qu’on ne retrouve que dans l’aristocratie ; elle
était bonne musicienne ; elle peignait l’aquarelle, non pas
comme une élève de couvent, mais avec un sens profond des beautés
de la nature ; elle pouvait soutenir une conversation avec les
plus nobles dames de la province ; elle eût fait une maîtresse
de maison accomplie. Et ses dons naturels,
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