Fleurs de Paris
demeurait stupide.
– La baronne ! murmura-t-il.
La première pensée d’Adeline fut de chercher
des yeux le poignard qu’elle avait laissé tomber dans sa lutte avec
le baron d’Anguerrand. Elle le vit, le ramassa vivement et, alors,
bien certaine de pouvoir se défendre, examina curieusement le gamin
qui, tout interloqué, se tenait devant elle.
Elle éclata de rire.
– Le fait est, dit Zizi rageur, que c’est
plutôt rigolo ! Quelle veste ! non, mais quelle
veste !
Adeline riait nerveusement, furieusement.
Zizi s’était reculé, effaré, épouvanté de ce
rire… Derrière cette porte qu’il venait d’ouvrir, il n’eût rien pu
imaginer de plus tragique, pas d’apparition plus effrayante, plus
imprévue que cette femme livide qui riait…
– Merci, mon petit ami, prononça enfin
Adeline qui reprit son calme en même temps que le sang remonta à
ses joues.
– Pas de quoi, dit Zizi, vrai, y a pas de
quoi. C’est pas de ma faute. J’me suis trompé d’adresse.
– Qui êtes-vous ?
demanda-t-elle.
– Ah ! zut !… C’est elle qui
s’déguise en juge d’instruction, à c’t’heure ? Qui que
j’suis ? Comme vous pouvez le voir, c’est moi que j’suis
Zizi-Panpan… de la rue Letort.
Adeline tressaillit.
– D’oùs que vous avez enlevé la pauv’
petite, acheva Zizi, qui, en même temps, recula vivement de
quelques pas, pour se mettre hors d’atteinte.
En effet, un frémissement avait agité Adeline,
et ses yeux étrangement clairs s’étaient posés sur Zizi avec un si
funeste éclat que le gavroche, comme il l’expliqua plus tard, en
sentit la petite mort se faufiler le long de ses reins. Ce ne fut
qu’un éclair. Déjà, Adeline, comprenant qu’il fallait à tout prix
s’assurer le silence du gamin, lui souriait le plus aimablement du
monde, et reprenait :
– Mais, mon petit ami, je ne sais ce que
vous voulez dire…
– Bah ! faites donc pas la gourde,
madame la baronne. Je vais vous dire. J’ai tout vu. J’ai suivi
votre sapin. Y a pas à tortiller : la gosse est entrée ici.
Oùs qu’elle est maintenant, le diable, vot’patron, le sait mieux
que moi. Seulement, je vais vous dire j’ai vu du sang dans la
grande cuisine, là-bas. Alors, esgourdez bien, madame la
baronne : si, dans deux jours au plus tard, la petite n’est
pas rentrée rue Letort, je sais ce qui me reste à faire ! À la
revoyure, madame la baronne !
Zizi bondit en arrière : Adeline venait
de s’élancer sur lui. Mais elle avait fait quelques pas à peine que
déjà Zizi dégringolait l’escalier, se hissait en haut du portail,
se laissait tomber de l’autre côté et disparaissait…
Adeline était demeurée quelques instants
méditative. Dans les menaces de ce gamin, elle voyait une
complication redoutable. Mais bientôt son visage se rasséréna et
reprit cette expression de froide volonté qui lui était habituelle
quand elle savait que nul ne la regardait.
Elle entra dans sa chambre à coucher et
s’habilla d’un de ces vêtements de couleur sombre et de ligne
modeste que les femmes mettent quand elles veulent passer
inaperçues. Alors, elle ouvrit un coffre-fort dissimulé sous un
placage de bois des îles figurant un charmant secrétaire vieux
style. Dans un petit sac de cuir fermant à clef et se portant en
sautoir, elle entassa à la hâte et sans les examiner des bijoux
dont la valeur totale pouvait monter à deux millions.
Lorsqu’elle fut prête, elle jeta un dernier
regard autour d’elle, puis descendit et arriva au grand portail
intérieur, qu’elle s’apprêta à ouvrir. À ce moment, la cloche de
l’hôtel résonna dans le silence, au-dessus de sa tête.
Adeline demeura figée, muette, blême.
Sa première pensée fut celle-ci :
– Ce misérable gamin a été au premier
poste venu, et maintenant, derrière cette porte, il y a des
agents…
Cependant le silence demeurait profond, sauf
une sorte de râle étouffé qu’Adeline entendait.
– Oh ! le guichet !
songea-t-elle tout à coup.
Elle approcha son visage du judas grillagé et
murmura :
– Ce n’est pas la police… Qu’est-ce que
cet homme ?… Que veut-il ?… Il a l’air épuisé… il se
tient à peine… quelque malheureux dont je me débarrasserai par une
aumône…
Résolument, elle ouvrit la porte, et tendant
une pièce blanche à l’homme qui s’appuyait à
l’encoignure :
– Tenez, mon brave, vous prierez Dieu
pour moi…
L’homme, avec effort,
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