Fleurs de Paris
lui
une confiance illimitée ; et quant à la baronne, si je ne
l’aimais pas, il m’était impossible de la soupçonner. Ta mère, mon
enfant, était une de ces douces et inébranlables vertus qu’on
trouve encore au fond des provinces…
En parlant ainsi, Hubert d’Anguerrand jeta un
furtif regard sur Lise. Mais la jeune fille ne semblait accorder à
ces détails qui concernaient sa mère qu’un intérêt transitoire. Il
continua :
– Le comte de Damart était devenu l’amant
de Jeanne Mareil…
Cette fois, Lise tressaillit. Et l’intérêt
passionné qui s’éveillait dans ses yeux à certains moments de ce
récit reparut sur sa physionomie.
– Jeanne Mareil, qui n’avait pas voulu du
baron d’Anguerrand, accepta l’amour de Louis de Damart.
– Je comprends, dit Lise d’une voix qui
fit pâlir le baron ; elle voulait se venger de vous. Poussée
par vous à la honte, elle acceptait la honte. Perdue de réputation,
comme vous le disiez, elle fit bon marché de sa réputation. Est-ce
bien cela ?
– Cela est affreux, murmura Hubert. Ma
fille me parle comme me parlait Jeanne Mareil !… C’est bien
cela, reprit-il tout haut. Je te félicite, ma fille, de si bien
comprendre à quel point Jeanne Mareil était victime et à quel point
ton père était misérable…
Sous l’amertume de ces paroles, Lise ne
broncha pas. Le baron eut un large soupir et continua :
– Comme je l’appris plus tard, de l’union
du comte de Damart avec Jeanne Mareil étaient nés des enfants, ou
tout au moins un enfant… une fille, je crois, je ne sais ce qu’elle
est devenue.
– Comment s’appelait cette fille ?
demanda vivement Lise.
– Je l’ignore, répondit le baron avec un
mystérieux étonnement devant cet intérêt que Lise prenait aux
enfants ou à l’enfant de Jeanne Mareil.
– Il n’importe, reprit Lise. De ce que
vous dites, il est tout de même certain que la fille de Jeanne
Mareil est née sinon de la même mère, du moins du même père que
Mme la baronne Adeline d’Anguerrand. C’est bien cela, n’est-ce
pas, monsieur ?
– C’est cela fit le baron en frissonnant
au son de cette voix étrange qu’avait Lise.
– En sorte, continua Lise, que si cette
fille de Jeanne Mareil vit encore et qu’elle se rencontre jamais
avec la baronne Adeline, elle devra lui dire :
« Aimons-nous bien, appuyons-nous l’une sur l’autre dans la
vie, car nous sommes sœurs !… » C’est bien cela, n’est-ce
pas monsieur ?
– C’est cela ! répéta sourdement le
baron. Mais ce que tu dis ne peut pas arriver, Valentine !
– Et pourquoi ?… Tout arrive…
– Tu oublies, mon enfant, qu’il y a trois
heures à peine, j’ai enfermé cette femme perverse, vraiment
maudite, et que je l’ai condamnée…
– C’est vrai ! j’oubliais
cela ! dit Lise avec un accent qui pouvait être celui de la
folie. Elle a voulu me tuer, n’est-ce pas ?…
– Au moment où je lui faisais grâce de la
vie, après l’avoir surprise préparant le poison qu’elle te
destinait, elle a essayé de te poignarder…
Lise se mit à rire… La terreur s’empara du
baron. Il s’agenouilla devant elle, prit ses mains glacées et
murmura :
– Mon enfant, ma Valentine chérie, tu as
la fièvre ; cette affreuse histoire, qui est celle de ton
père, te fait un mal horrible… ta blessure te fait souffrir…
dis-moi… confie-moi tes pensées…
Elle le regardait de ses yeux fixes où
roulaient des larmes désespérées.
– Je t’en supplie, prends un peu de
repos. Je te jure que demain tu sauras tout !
– Maintenant !… murmura Lise. Oh
tout de suite ! Il le faut ajouta-t-elle avec une exaltation
croissante. Ma blessure n’est rien. Je n’ai pas la fièvre. Je veux
savoir !…
– Tu l’exiges ?…
Elle fit oui de la tête.
– Je n’ai pas le droit de te refuser
cela,
à toi
! fit sourdement le baron, qui se releva
et reprit sa morne promenade. Il faut donc que j’en vienne
maintenant au récit de mon véritable crime… Le crime que j’ai
commis envers toi et ton frère Edmond… Un soir de décembre, Hubert
d’Anguerrand débarqua à Segré pour passer les fêtes de Noël au
château. Il avait laissé son fils Gérard à Paris, son intention
étant d’y ramener sa femme, et Edmond et toi-même, au moins pour
quelque temps ; car on s’étonnait à Paris de la longue absence
de la baronne Clotilde, ta mère. À Segré, Hubert, selon son
habitude,
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