Fleurs de Paris
de
marcher, mais encore sa pensée reprit toute sa force et toute sa
netteté. Brièvement, naïvement, elle raconta comment elle avait été
détenue, comment elle s’était évanouie, et comment elle s’était
réveillée dans la Morgue. Puis elle annonça son intention de
retourner aussitôt rue Letort et d’y reprendre ses occupations
habituelles. Mais Jean Nib secoua la tête.
– Je ne te laisserai pas faire cette
bêtise, dit-il. D’après ce que tu viens de dire, la môme, c’est
bien La Veuve qui t’aurait arquepincée dans une
encoignure ?
– Sûrement, c’est La Veuve… Mais je
saurai me défendre contre elle, je n’ai pas froid aux yeux, ni la
langue dans ma poche. Qu’elle y vienne !
– Je connais La Veuve jusqu’au tréfonds,
dit Jean Nib. Pourquoi qu’elle t’en veut ? J’en sais rien. Ce
qu’il y a de sûr, c’est qu’elle t’en veut. Et alors, elle te tuera,
ma pauvre petite. D’abord, tu nous dis que tu t’es évanouie. C’est
pas naturel ça ! On aurait reconnu qu’t’étais morte. Veux-tu
que je te dise ? Pour moi, La Veuve t’a fait avaler de la
poison ; seulement, voilà, elle t’en aura pas assez donné et
tu y réchappes…
– Que faire ?… où aller ?…
murmura la petite bouquetière.
– Écoute, la gosse. Moi aussi, j’ai un
compte à régler avec La Veuve. Un rude compte. Ça ne traînera pas,
j’espère. Et alors, tu seras libre d’aller et venir comme père et
mère. Mais tant que j’aurai pas réglé son compte à La Veuve, tu
peux m’en croire, terre-toi ! Si tu sors, ne sors que la nuit,
et en ouvrant l’œil. Si on frappe à ta porte, n’ouvre pas ! Si
une femme, avec un air de brave femme, veut te parler, trotte-toi,
car elle sera envoyée par La Veuve ! Méfie-toi de tout, et de
tous, et même de ton ombre. Du moment que La Veuve a l’œil sur
tout, pauvre petite, je ne donnerais pas deux sous de ta
peau ! Faudra que tu y passes…
« Tiens, viens-t’en avec nous. Tant que
je serai libre, t’auras rien à craindre de La Veuve. Moi et
Rose-de-Corail, vois-tu, nous somme sous le grappin de la rousse.
Mais je m’en voudrais d’abandonner une belle fille comme toi. Viens
avec nous. Là où nous serons, tu peux être sûre que La Veuve
n’osera pas te relancer. On n’est pas riches… On partagera
quoi !…
– Eh bien, oui ! fit Marie Charmant,
puisque vous voulez bien…
– Écoute, Rose-de-Corail, tu vas filer
devant avec la gosse. Moi, je viendrai derrière à vingt pas…
– Je vois bien que je vais vous gêner,
fit Marie en tremblant. Je ne sais pas qui vous êtes, et je vois
que la police vous poursuit…
– Alors, t’as peur de moi ? dit Jean
Nib d’une voix sombre. C’est tout naturel. Qui je suis ?
Demande-le à Finot. Il te répondra : un malfaiteur public, un
homme de rien, un être dangereux…
– Laissez-moi finir, interrompit
doucement la bouquetière. Je voulais vous dire que, même sans vous
connaître, même si vous êtes un malfaiteur, j’ai confiance en
vous.
Au bout de deux heures de marche, ils
atteignirent la masure du Champ-Marie, et la bouquetière ne put
s’empêcher de frissonner en pénétrant dans la pièce où elle avait
été prisonnière. C’est cette pièce-là qui devait lui servir de
chambre. Jean Nib et Rose-de-Corail devaient s’installer au
rez-de-chaussée, dans la pièce qui avait servi de prison au baron
d’Anguerrand.
Le soir du deuxième jour, lorsque Marie
Charmant fut montée se coucher dans sa chambre, Rose-de-Corail
étala sur la table une vingtaine de sous, et, regardant fixement
Jean Nib :
– Voilà toute notre fortune, dit-elle.
Quoi qu’on va devenir, dis, mon Jean ?
– C’est bon ! fit brusquement Jean
Nib. Demain, y aura de la braise, n’aie pas peur…
Rose-de-Corail ne dit plus rien. Elle s’assit.
Jean Nib s’assit près d’elle. Elle lui prit les mains qu’elle serra
nerveusement dans les siennes. Puis, se plaçant sur ses genoux,
elle mit ses bras autour de son cou et sa tête sur son épaule.
Brusquement, d’un souffle, elle éteignit la bougie qui brûlait sur
la table. Jean Nib s’immobilisa.
– T’as entendu quelque chose ?
fit-il d’une voix non perceptible pour tout autre que
Rose-de-Corail.
Ils étaient habitués à se parler ainsi, sans
bruit, en ces minutes d’angoisse où l’instant qui suivait pouvait
être celui de leur arrestation… de leur éternelle séparation.
– Non, fit
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