Fleurs de Paris
Rose-de-Corail. Mais j’ai
besoin de te parler, et la lumière me gêne…
– Parle… Qu’as-tu à me dire ?…
– Tu le sais, Jean, murmura-t-elle en
l’étreignant plus étroitement, toutes les misères possibles, je les
supporterai, du moment que tu es près de moi. J’aimerais mieux
mourir, Jean, plutôt que de chercher hors de toi une vie moins
malheureuse.
– Écoute. De refiler la comète, de
chercher de misérables coups, de vivre en grinche qui n’a pas le
droit de mettre le nez dehors, ça me dégoûte. L’argent que je fais
venir de cette façon me dégoûte. Et moi-même, quand je regarde en
moi, je me dis : « Est-ce bien toi qui est grinche ?
Est-ce que tu n’avais pas d’autres idées ? Est-ce qu’il ne
vaudrait pas mieux balayer les rues ? » Oui,
Rose-de-Corail, si je pouvais balayer les rues, j’aimerais encore
mieux ça que ce que je fais. Si quelqu’un au monde me donnait le
moyen de gagner une pièce de vingt sous qui ne me brûlerait pas les
doigts !… Tu vois que tu me vantes et que tu me fais plus fort
que je ne suis… Grinche pour grinche, il vaut mieux que je le sois
une bonne fois. Je vais chercher… et je trouverai, n’aie pas
peur !… En attendant, il nous faut quelques sous pour ne pas
claquer du bec, et c’est à ça que je dois penser avant tout…
– Jean, prends bien garde !…
Oh ! j’ai envie de venir avec toi. … Jean, laisse-moi venir
avec toi !
– Allons donc, fit-il avec un haussement
d’épaules. Prendre garde à quoi ?… Il faut que tu restes, pour
la gosse.
– Si tu allais ne plus revenir ! …
Si la rousse, Jean ! si la rousse allait faire ce soir, par
hasard, ce qu’elle n’a pu faire l’autre nuit !…
– La rousse ne peut se vanter de m’avoir
agrippé qu’une seule fois, parce que j’ai fait la bêtise de me fier
à La Veuve. Ça m’apprendra à agir seul… toujours seul… rien qu’avec
toi… Allons, faut que je me mette en route… voici l’heure de
l’affût.
– Quand reviendras-tu ?… Vite,
dis ?… Reviens vite ! Je ne vis pas quand je ne t’ai pas
près de moi…
– Qui sait ? Dans une heure,
peut-être… ou peut-être demain matin. Veille bien sur la gosse
là-haut…
Ils s’étreignirent longuement. Puis,
Rose-de-Corail ayant rallumé la bougie, Jean Nib fit ses
préparatifs. Il mit dans ses poches quelques outils perfectionnés,
une pince, une lime, des clefs, et s’assura que son bon couteau
était en place.
Il sortit, traversa rapidement les solitudes
désertes de ce quartier alors non encore construit ; et gagna
les bouvards extérieurs. Il était calme. Pourtant, par moments, un
tressaillement nerveux le secouait.
Il marchait lentement, l’œil au guet, pesant
d’un regard les passants qu’il croisait.
Mais ce n’était pas l’heure de l’action. Il
était trop tôt. Les concerts et les cabarets n’étaient pas fermés
encore. Le boulevard de Rochechouart et le boulevard de Clichy
étaient encore sillonnés de bandes… Jean Nib marcha jusqu’aux
abords du cimetière Montmartre, puis revint sur ses pas.
Chapitre 50 CONJONCTION
Dans cette même soirée, Anatole Ségalens avait
visité les cabarets de Montmartre, cherchant vainement une
distraction à son chagrin. Et puis, il espérait toujours qu’un
hasard lui donnerait une indication quelconque. Et puis cela le
reposait de ses terribles raids à travers le monde de la pègre… Il
avait dîné, triste et seul, dans un des restaurants les mieux cotés
du quartier de l’opéra.
Car, fidèle à son système de
paraître
, Anatole Ségalens tenait à se montrer le plus
souvent possible dans les endroits que fréquentent les deux ou
trois cents provinciaux qu’on appelle le Tout-Paris.
Content, donc, d’avoir été vu d’un certain
nombre de
notabilités
, il vida son verre à sa propre santé
et à celle de la réclame.
– Oui, songea-t-il, j’aime la réclame.
Mais la réclame est une abstraction, une entité qui,
raisonnablement, peut suffire à mes appétits d’affection. Ô mon
digne oncle Chemineau, je vous avoue que j’ai commis une faute, une
gaffe comme on dit dans le jargon officiel du Tout-Paris. Une
gaffe ? Quelle est la gaffe ? C’est d’être amoureux d’une
personne moins abstraite que demoiselle Réclame. Un jeune homme
bien né comme moi, bien tourné, avec l’esprit d’aplomb, ne devrait
aimer que la réclame. Moi, par-dessus le marché, j’aime Marie
Charmant. C’est
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