Fleurs de Paris
soirée,
elle en robe blanche, sous ce geste reculent encore, sans un mot
d’adieu, sans un cri de remords, courbés, haletants, blêmes… Ils
s’en vont !
Chapitre 9 SUR LES FORTIFS
Trois jours s’étaient écoulés depuis. Comme
Gérard d’Anguerrand et la baronne Adeline avaient annoncé qu’ils
quitteraient Paris pour un mois, nul se s’inquiéta de leur
disparition.
Pourtant, ils ne s’étaient rendus ni au manoir
de Prospoder, comme ils l’avaient dit à leurs hôtes, c’est-à-dire à
tout Paris – ni au Havre pour y attendre le départ du
transatlantique, comme c’était convenu, entendu avec le baron.
Ces trois journées, les deux damnés les
avaient passées à combiner, à étudier leur situation, à préparer la
suprême bataille.
Donc, le soir du troisième jour, le plan était
parfait, les résolutions étant irrévocables, l’exécution allait
commencer. Gérard sortit, pareil à un fauve, du logis… du repaire
qu’il occupait avec sa tigresse au fond d’une cour de la rue
d’Orsel, à Montmartre.
Il était près de neuf heures. Gérard descendit
les rampes de la chaussée Clignancourt et gagna la porte
Saint-Ouen.
Au delà des grilles de l’octroi, à trois cents
pas du fossé, en bordure d’un sinistre terrain vague, s’élevait
alors une sorte de buvette aujourd’hui disparue. Cela
s’appelait :
Au rendez-vous des Croque-Morts
, à cause
des hommes noirs qui, du matin au soir, défilent vers le cimetière
fantastiquement immense.
Gérard d’Anguerrand se dirigea vers le
Rendez-vous des Croque-Morts
, entra dans l’unique pièce où
il y avait nombreuse société d’hommes et de femmes : figures à
faire rêver un Callot, regards luisants, bouches qui veulent
mordre… sous la clarté blafarde du quinquet, dans la fumée des
pipes, dans l’odeur du vin, têtes livides, fronts marqués pour le
crime, la honte et l’horreur – ou la misère… le vice suprême –
traits accentués où dans chaque ride gîtait une douleur ou un
drame…
Il y avait là de sourdes conversations, des
chuchotements dans les angles, des éclats de voix, des rires qui
grinçaient, des chansons à boire tristes comme des
Requiem
de Chopin retouchés par un Offenbach. À l’entrée de Gérard, tout se
tut. Au fond des coins d’ombre, des prunelles étincelèrent ;
des mains se glissèrent sous les bourgerons pour saisir des
couteaux… mais Gérard fit de la main un signe rapide, et, sans
doute, on reconnut le signe, car dès lors nul ne fit plus attention
à cet étranger bien mis qui s’asseyait à une table et dont le
patron s’approcha en demandant :
– Que désire mossieu ?…
– Du vin d’abord. Du bon. Du cachet
rouge. Ensuite, je veux voir Jean.
– Qui ça, Jean ?… Il y en a ici
trois ou quatre. Lequel veux-tu voir ?
– Jean Nib, parbleu ! C’est Jean Nib
que je veux voir…
– Ah bon !… Eh bien ! il va
venir… tu n’as qu’à attendre.
Gérard fit signe que c’était bien. Et pensif,
accoudé sur la table de bois blanc tachée de rouge – taches de vin…
ou de sang – les sourcils contractés, le poing crispé, il se mit à
écouter le vent d’hiver qui criait, riait, sanglotait, gémissait au
dehors… à écouter les pensées qui hurlaient en lui.
La porte de l’immonde cabaret s’ouvrit :
Jean Nib et une femme, Rose-de-Corail, parurent.
Le patron vint se pencher sur Gérard, et lui
dit :
– Tu voulais voir Jean Nib ?… Le
voici, regarde !…
Gérard eut le sursaut de l’être qui s’éveille
d’un cauchemar, ramassa ses idées avec la rapidité du lutteur
toujours prêt, et jeta sur l’homme en guenilles un long regard de
curiosité aiguë.
– C’est bien celui-là qui est Jean
Nib ?… C’est bien sûrement celui-là ?…
– Quand je te le dis ! fit le patron
avec un froncement de sourcils où il y avait un commencement de
défiance.
– Bon ! Eh bien ! demande-lui
s’il veut venir vider une bouteille avec moi.
Quelques secondes après, Jean était attablé
près de Gérard.
Longuement, ils se regardèrent avec une sorte
d’indicible étonnement dont ils ne se rendaient pas compte. Chacun
d’eux croyait qu’il examinait curieusement l’
étranger
qu’il avait en face de lui. En réalité, chacun d’eux se
disait : « Il me semble que ce sont mes yeux et mes
pensées que je vois dans les yeux de celui qui est devant
moi !… »
Brusquement, Gérard secoua la tête, haussa les
épaules et
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