Fleurs de Paris
de cette existence infernale, lorsqu’elle avait une
minute de tranquillité, elle entrevoyait la guillotine…
Le jour commençait à se lever, lorsque La
Veuve arriva à la maison Tricot.
Elle se jeta tout habillée sur son lit et
ferma les yeux, mais non pour dormir. Affreusement lasse d’esprit
et de corps, la haine inassouvie, la déception qu’elle venait
d’éprouver à Neuilly la tenaient éveillée. En somme, l’expédition
n’avait servi à rien, sinon à peupler ses nuits de quelques
nouveaux fantômes. Il y avait eu bataille. Il y avait eu des morts.
Mais Lise et Gérard lui échappaient. Lise surtout !… À cette
pensée, La Veuve comprimait de sa main crispée les battements de ce
cœur qui ne vivait plus que par la haine…
Parfois, cependant, elle songeait qu’elle
aussi avait eu une fille…
Elle songeait que si cette fille n’était pas
morte, que si, par un miracle, elle avait pu revoir sa petite
Suzanne perdue jadis sur la route des Ponts-de-Cé, oui, elle
sentait que d’autres sentiments se seraient glissés dans son cœur
maudit, que peut-être ces haines dont elle souffrait tant se
seraient apaisées, que l’amour maternel, d’autant plus puissant
qu’il était pour ainsi dire accumulé en elle, l’eût transformée…
peut-être ! Mais alors, cette haine même redoublait
d’intensité contre la fille des d’Anguerrand, contre Valentine…
contre Lise !
Pourtant, l’expédition à Neuilly lui apportait
un certain bénéfice : d’abord, elle tenait Zizi, par qui sans
doute elle apprendrait bien des choses. Ensuite, la bouquetière,
dont elle pouvait redouter les dénonciations, était également en
son pouvoir, avec Rose-de-Corail. Enfin, – cela surtout aidait à
l’apaiser – Jean Nib était mort.
Depuis l’affaire du Champ-Marie, Jean Nib
était sa terreur constante. Souvent, dans ces heures effroyables
qu’elle passait en tête à tête avec ses idées de mort, elle s’était
dit :
– Oui, je fais la brave. Oui, je dis que
je ne crains pas l’échafaud. Oui, par bravade, j’ai voulu porter le
nom de la guillotine, et je m’appelle La Veuve !… Mais que de
fois, la nuit, je me réveille, inondée de sueur et tremblante,
lorsque dans mes rêves je me sens poussée sur la bascule, lorsque
je vois le doigt du bourreau s’appuyer sur le bouton du
déclic !… Alors, j’ai peur… et pourtant, au fond, je sens,
j’espère, je crois que cela ne m’arrivera pas !… Mais Jean
Nib, lui !… Lui n’est pas un jury que l’on peut
attendrir ! lui ne signera pas de grâce ! Que je me
trouve jamais face à face avec lui, et je suis morte ! Morte
sans avoir pu me venger ! morte misérable, sans cette
consolation de savoir que j’aurais au moins rendu le mal qu’on m’a
fait !
Et lorsque La Veuve songeait ainsi, elle
frissonnait et se barricadait.
Maintenant, Jean Nib était mort. Elle l’avait
vu tomber sous le couteau de Biribi. Elle était au moins
débarrassée de cette terreur parmi les terreurs qui la
rongeaient.
Elle attendait Biribi. Trois heures se
passèrent, et le jour était tout à fait venu ; sur la route,
il y avait des roulements de voitures, des piétinements de
passants. La Veuve, debout maintenant, près de la fenêtre,
examinait la route. Un corbillard passait. Un corbillard de pauvre,
sorti de quelque hôpital. Un de ces enterrements du matin, conduit
en hâte. Derrière le corbillard, deux femmes et un enfant
galopaient dans la boue. C’était d’une affreuse tristesse.
– Encore un qui s’en va, ricana La Veuve,
encore un qui a fini de souffrir. Et les imbéciles qui marchent
derrière pleurnichent. Qu’est-ce qu’elles ont à pleurer ?
Celui qu’elles accompagnent ne souffrira plus. Je voudrais voir
défiler l’enterrement de tout Paris, du monde entier… Je hais
Paris… je hais le monde… Ça serait fini une bonne fois… Il s’en va
au cimetière où se trouve mon enfant…
Elle tomba dans une morne méditation dont des
coups violents frappés à la porte finirent par la tirer. Elle alla
ouvrir, ayant reconnu le signal, et Biribi entra en
disant :
– De quoi, La Veuve ! C’est-y que
vous dormiez, ou que vous étiez encore partie dans vos idées de
l’autre monde ? Ouf ! je suis éreinté ! En v’là une
nuit !
Le bandit se laissa tomber sur une chaise, et
La Veuve, sans rien dire, tira d’un placard une bouteille
d’eau-de-vie qu’elle plaça sur la table avec un verre. Biribi
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