Fleurs de Paris
c’est Jeanne
Mareil !…
– Ma mère ! murmura Lise avec un
étrange accent.
Elle ne semblait pas surprise. Pourtant un
profond tressaillement l’avait secouée jusqu’au fond de l’être. Et
cette insensibilité apparente avait fait frissonner Ségalens.
Mais un frisson d’ineffable pitié faisait
frémir son cœur. Mais dans ses yeux de douceur infinie, de douleur
résignée, de sacrifice pur, s’éveillait peu à peu une flamme
étrange que Ségalens fut seul à observer. Il s’approcha de Lise et
lui dit doucement :
– Cette femme… La Veuve… vous a fait bien
souffrir…
– Elle a souffert plus que moi, dit Lise
enfin, d’une voix tremblante.
– Oui… je comprends… c’est votre mère…
mais… je voudrais dire… bien sûr, vous faites bien en lui
pardonnant, vous êtes une de ces âmes d’exception qui ont des ailes
pour s’élever au-dessus des sentiments qui nous agitent… mais
voyons… il faut ici du calme…
– Je n’ai rien à pardonner à ma mère, dit
Lise d’un accent qui s’exaltait de plus en plus. Je veux la voir,
voilà tout !… Misérable fille que je suis, je n’ai pas deviné
que ce visage ravagé par la douleur était celui de ma mère, que ces
yeux brûlés de fièvre étaient les yeux de ma mère ! Ô ma mère,
sois tranquille, ajouta-t-elle, en serrant ses mains pâles l’une
contre l’autre, si un être au monde peut entreprendre de te
consoler, ce sera ta fille… si une vie de tendresse peut suffire à
te faire oublier, j’y consacrerai ma vie… Où est-elle ? reprit
Lise tout à coup en s’adressant à Jean Nib, presque rudement.
– Je réponds de tout, dit Jean Nib. Je
réponds de Jeanne Mareil et de Gérard. Le temps de passer avenue de
Villiers et de courir chez Tricot…
Lise fit un morne signe d’acquiescement et se
renversa dans son fauteuil, à demi évanouie.
Pendant que Rose-de-Corail prodiguait des
soins à la jeune fille, Jean Nib eut un rapide entretien avec
Ségalens et Marie Charmant.
– C’est bien votre avis, n’est-ce pas,
qu’avant toutes choses, je dois amener ici La Veuve et
Gérard ?
– Certes !…
– Bon. Je serai de retour vers midi. Et
alors nous nous rendrons rue de Babylone, chez… notre père.
Marie Charmant frémit à la pensée de retrouver
son père, et Ségalens à la pensée que, dans quelques heures,
Valentine serait officiellement sa fiancée…
Jean Nib se dirigeait vers la chambre à
coucher pour quitter son costume de rôdeur. À ce moment, on sonna à
la porte. Tous tressaillirent. Dans la situation d’esprit où ils se
trouvaient, le moindre incident ébranlait fortement leurs
nerfs.
– Ce n’est rien ! se hâta de crier
Ségalens qui avait été ouvrir.
Ce n’était rien en effet : les journaux
que le concierge lui montait à l’heure habituelle. Il déchira la
bande de l’
Informateur
qu’il déplia… À cet instant, il
devint livide. Voici ce qu’il venait de lire en titre d’une
colonne :
UN CRIME
ASSASSINAT DU BARON D’ANGUERRAND.
– ARRESTATION DE LA COUPABLE. –
HISTOIRE TRAGIQUE DE « LA VEUVE »,
RECÉLEUSE, VOLEUSE ET MEURTRIÈRE.
Chapitre 73 LA VEUVE GUILLOTINÉE
Il était cinq heures du soir. Dans le sombre
corridor de la maison des fous, un médecin, plusieurs gardiens
prêts à intervenir… Puis Anatole Ségalens, et Lise qui marche d’un
pas ferme, soutenue par l’énergie étrange qui parfois galvanise les
agonisants…
– Attention, mademoiselle, murmure le
médecin. Tenez-vous bien sur vos gardes. Un mot, un seul, peut
déchaîner une crise de fureur… Ouvrez, gardien !
Un des gardiens ouvre la porte d’une cellule,
et Lise rentre…
Les autres se tiennent près de la porte
entr’ouverte, tout prêts à entrer…
Lise est entrée… Lise est en présence de La
Veuve… Lise est chez Jeanne Mareil, chez sa mère… !
*
* * * *
Ce furent des heures terribles que celles
vécues par Ségalens dans cette journée employée à obtenir un permis
de visite. De la rue Saint-Honoré au Dépôt, puis à la préfecture de
police, puis au ministère de la Justice, dans les couloirs où il
fallut stationner, dans les bureaux où il fut admis, Lise ne le
quitta pas une minute. Elle semblait calme. Elle ne pleurait pas.
Son visage s’était comme pétrifié. Elle avait des gestes raides.
Pour tous les encouragements de Ségalens, pour toutes les
objections des bureaucrates, elle n’avait qu’une réponse, toujours
la
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