Fleurs de Paris
morts… Maintenant, mademoiselle, j’espère, oui…,
j’espère qu’après tout ce que je viens de dire, vous me mépriserez
tant et tant… que vous m’oublierez… et surtout… oh ! cela,
surtout ! que vous garderez le secret de celle que vous
appelez La Veuve ! Car cette femme n’est que l’instrument… de
celui… que j’adore !…
– Pauvre chère mignonne ! dit Marie
Charmant en pleurant, vous ne me faites pas horreur, et je ne vous
méprise pas ; il y a dans votre histoire un mystère qui
m’effraie, mais je respecterai votre volonté ; je vous jure
que, par ma volonté du moins, il n’arrivera aucun mal à…
Elle rougit. Et la voyant rougir ainsi, Lise
sourit avec une infinie tristesse.
– À mon frère ! acheva-t-elle. Soyez
bénie, vous qui m’apparaissez comme un ange…
– Ange sans ailes ! s’écria Marie
Charmant. Mais, pour en revenir à votre affaire, voyons, on peut
bien vous tirer des griffes de La Veuve sans risquer de toucher à…
celui que vous ne voulez pas dénoncer !… Écoutez-moi bien. Je
connais un jeune homme. Quand on dit que je connais, c’est une
façon de parler… Mais enfin, je puis vous affirmer que
M. Anatole Ségalens… c’est mon jeune homme, une drôle d’idée
qu’il a de s’appeler Anatole, hein ?… ça ne l’empêche pas
d’être le plus fier, le plus loyal, le plus brave jeune homme de
Paris…
– Vous l’aimez ! dit Lise.
– Moi ? fit Marie Charmant
stupéfaite et devenue pourpre. Non, non, je ne l’aime pas. il n’est
pas pour mes mirettes, celui-là ! Pensez donc, ajouta-t-elle,
avec une naïve admiration : un licencié ! Dites donc,
vous qui avez de l’instruction, qu’est-ce que ça peut bien être un
licencié ? C’est-il plus qu’un capitaine ?…
– Oh ! sûrement ! dit Lise en
toute sincérité.
– Je m’en doutais ! fit Marie
Charmant en étouffant un soupir. Pourtant, il est bien pauvre.
Enfin, je crois bien que si je lui disais… Il vous tirerait de là,
lui ! Voulez-vous ?
– Laissez-moi un jour ou deux, murmura
Lise, reprise de terreur. Je vous en supplie, ne faites rien, ne
dites rien… Demain soir, si vous voulez bien me revoir, j’aurai
pris une résolution…
– Eh bien, c’est dit ! s’écria Marie
Charmant, J’attendrai jusqu’à demain. Vous verrez, ma pauvre
mignonne, nous vous sauverons, moi et… M. Anatole… – Mais
quelle drôle d’idée de s’appeler Anatole !… comme s’il n’avait
pas pu s’appeler Ernest, ou Jules, ou Émile… Enfin, on m’appelle
bien Marie Charmant, moi ! Encore une drôle d’idée, par
exemple ! Mais au moins, moi, j’ai une excuse je ne connais
pas les noms de mes père et mère !…
Lise redressa vivement sa tète pâle et
considéra la bouquetière avec une violente surprise.
– Au fait, reprit gaiement Marie, je
connais votre histoire, ou à peu près, et vous ne connaissez pas la
mienne ; ça n’est pas juste, ça ! Il faut donc que je
vous dise pourquoi on m’a affublée d’un nom rigolo comme celui que
je porte de mon mieux, et pourquoi je ne connaissais ni père ni
mère, ajouta-t-elle avec une indicible tristesse.
« Telle que vous me voyez, je ne suis
qu’une enfant trouvée !… »
– Une enfant trouvée ! murmura Lise
avec un tressaut du cœur. Moi aussi, je suis une enfant
trouvée.
Ce mot que criait son cœur expira sur ses
lèvres. Pourquoi ? Par quelle mystérieuse et profonde
curiosité, ou, plutôt, par quel lointain pressentiment voulut-elle
ne pas interrompre l’histoire de Marie Charmant ?…
– Ça vous épate ? reprit celle-ci.
C’est pourtant comme ça ! Il n’y a pas que dans les drames de
l’Ambigu qu’il y a des enfants trouvés… À preuve, moi !…
Sachez donc que, moi aussi, j’ai été sous la coupe d’une mégère
pareille à La Veuve. Entre parenthèses, en voilà une qui pourra se
fouiller, si elle a des poches, pour que je lui fasse à présent ses
commissions et que je porte ses fleurs au cimetière…
– Au cimetière ?…
– Oui. Il paraît comme ça qu’elle a eu un
fils qui est mort et qu’elle aimait bien. Ce fils s’appelait Louis.
J’ai vu ça sur la tombe…
– Louis ! murmura Lise en pressant
son front dans ses doigts amaigris et en penchant la tête, comme
pour sonder un abîme où une pierre vient de rouler.
– C’était le nom du petit qui est mort,
reprit Marie Charmant. La Veuve m’a raconté tout cela un
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