Fourier
toute la Phalange et pour tout le globe, et qui
établit partout l’unité de bon ton 19 .
Plus encore que le minimum social et le système éducatif,
l’organisation de la Phalange en groupes passionnels et en séries de groupes
est la garantie de l’intégration. Par définition, la série est un véritable
creuset : c’est une congrégation d’individus divers dont la commune passion
permettra d’oublier les différences d’âge, de fortune et d’intelligence. Au
sein de leur série et dans leurs activités, riches et pauvres, jeunes et vieux
seront librement mêlés. Les distinctions n’y seront plus fondées sur la fortune
ou le statut mais sur l’aptitude de chacun à accomplir telle ou telle tâche. De
plus, un individu faisant toujours partie de plusieurs séries, il sera
susceptible de jouer plusieurs rôles différents avec des confrères variés au
cours d’une même journée. Alternativement meneur et simple exécutant, il
trouvera peut-être que le rival d’une série est allié dans une autre. Ainsi,
s’il peut s’établir au sein d’un même groupe des liens particuliers très forts,
les conflits personnels, eux, céderont la place aux antagonismes de groupes.
Fourier a plus d’une idée sur la façon de rapprocher des
personnes a priori hostiles les unes aux autres, comme les riches et les
pauvres. Le ralliement de famillisme, par exemple, est particulièrement
intéressant : il s’agit pour les riches Harmoniens d’adopter de jeunes enfants
qui les aideraient dans certaines tâches.
Un père, en Harmonie, étant passionné par une quarantaine
de travaux, se passionne par suite pour ses coopérateurs les plus intelligents,
et surtout pour les enfants pauvres qu’il voit exceller dans ses occupations
favorites où son fils ne s’entremet point. De là naissent les adoptions de
ligue industrielle, adoptions de continuateurs; elles ne sauraient avoir lieu
en civilisation, où le riche ne se passionne pas pour le travail ; ou bien,
lorsqu’il s’y adonne, il rencontre par toute compagnie des intrigants et des
fripons, et jamais des enfants intelligents, enthousiastes, et dignes du rang
de continuateurs titulaires 20 .
D’après les calculs de Fourier, au cours d’une vie moyenne de
144 ans un riche Harmonien peut adopter comme héritiers et continuateurs une
bonne centaine d’enfants. En comptant ses enfants naturels et tous ses
petits-enfants, naturels et adoptifs, le jour viendra peut-être où toute la
Phalange ne sera plus pour lui qu’une immense famille. Telle est donc la
réponse définitive que propose Fourier au problème de l’intégration sociale :
l’invention d’une communauté aux liens familiaux tellement extensifs qu’ils
finiraient par inclure tout le monde !
III
Le repas comptera, avec l’amour et le travail, au nombre des
activités les plus gratifiantes pour les Phalanstériens. La gourmandise, note
Fourier, est la passion la plus forte des enfants et des vieillards, « la
première et la dernière jouissance de l’homme, celle qui le réjouit depuis sa
naissance jusqu’à sa dernière heure 21 ». La qualité (et la quantité) des mets harmoniens ainsi que le rôle des repas
dans la vie de la Phalange constituent donc des sujets de la plus haute
importance 22 . Or les écrits de
Fourier coïncident avec les débuts d’un âge d’or pour la cuisine française.
Sous le Directoire et le Premier Empire, tandis que les chefs de l’aristocratie
pré-révolutionnaire ouvrent les premiers restaurants « modernes », la
gastronomie se fait science. Des écrivains comme Grimod de La Reynière et
Berchoux ouvrent la voie aux grands maîtres que seront Marie-Antonin Carême ou
l’épicurien Brillat-Savarin 23 .
Fourier a eu l’occasion de rencontrer Brillat-Savarin (parent, peut-être, de
son beau-frère Philibert Parrat-Brillat) et de dîner avec lui, en 1789, lors de
son premier séjour à Paris. Mais les théories culinaires de Brillat-Savarin ne
l’impressionnent guère plus que ce qu’il appelle les « gastro-âneries » de
Grimod et Berchoux : « Savarin était comme tous les gastronomes, un simpliste,
ignorant la gastrosophie, la greffe ou équilibre du système alimentaire ; l’art
d’allier les raffinements de consommation et préparation, avec les rivalités
émulatives et les méthodes hygiéniques 24 .
»
Selon Fourier, la gastrosophie, art de la gourmandise raffinée,
se divise en trois branches. En premier lieu vient la cuisine, le «
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