Fourier
plus révéré
» de tous les arts en Harmonie. Tous les Harmoniens apprendront à cuisiner dès
leur plus jeune âge. On incitera les enfants à « développer et motiver leurs
goûts pour chaque mets, chaque saveur et chaque sorte d’accommodage », à «
exiger sur les moindres comestibles des apprêts variés selon les divers goûts
».
Les moralistes du monde civilisé, avec leur amour de la fadeur
et de la discipline, se récrieront à coup sûr de voir les enfants ainsi
encouragés à vétiller. Mais Fourier soutient que des habitudes de consommation
délicates, voire difficiles, sont un excellent prélude à l’étude de la cuisine
proprement dite. Quand le système harmonien sera parfaitement établi, tout
enfant aspirera à se distinguer dans la préparation d’un plat particulier. Les
plus grands chefs harmoniens, ceux qui seront capables d’adapter un même plat
au goût de chacun des 810 types passionnels, se verront décerner des titres de
sainteté. Les moins doués trouveront quant à eux dans la cuisine une très bonne
école de dextérité manuelle et de savoir pratique 25 .
Les Harmoniens s’attableront cinq fois par jour. Les plus pauvres
d’entre eux, souligne Fourier, auront le choix entre « douze sortes de soupe,
douze qualités de pain et de vin et douze accommodages pour les viandes et
légumes 26 ». Les repas seront
copieux sans toutefois ôter aux convives le désir de revenir quelques heures
plus tard : la cuisine harmonienne sera légère et variée. On y fera grand usage
de fruits et de légumes, on servira souvent de la volaille ; de nombreuses
variétés de pain seront proposées, le traditionnel pain de deux kilos cessera
d’être l’aliment de base du pauvre et « le fruit allié au sucre » deviendra «
pain d’Harmonie 27 ».
Fourier est fasciné par l’art culinaire. Mais sa science, la
gastrosophie, traite d’un sujet plus ample que la préparation ou la dégustation
des plats. C’est également une « science de haute politique sociale » et l’une
des branches de l’hygiène. Elle constitue une forme de « médecine naturelle ou
attrayante » qui remplacera par d’agréables prescriptions les remèdes de
charlatans 28 . Véritable pionnier
de la diététique, Fourier partage la méfiance des nutritionnistes actuels pour
la médecine traditionnelle. Mais les remèdes qu’il propose sont tout de même un
peu différents : les céréales ne l’intéressent pas, il recommande plutôt « les
confitures, liqueurs et autres friandises 29 ».
En tant que science sociale, la gastrosophie traite également du
rôle prépondérant que jouent les repas dans la formation de liens passionnés.
Les plaisirs de la table dans l’utopie de Fourier seront des plaisirs «
composés » : la bonne chère ira de pair avec la bonne compagnie et le repas
deviendra, comme le dit Henri Desroche, la « forme élémentaire de sociabilité
harmonienne », et l’occasion de toutes sortes d’intrigues, de célébrations et
d’aventures. Fourier parle du premier repas du jour, « l’antienne gastronomique
», comme d’un « imbroglio fort réjouissant » où se résoudront les disputes des
amants, seront présentés les visiteurs et organisées les cabales 30 .
Si Fourier accorde à la gastrosophie une telle importance comme
science sociale, c’est que la gourmandise, à ses yeux, est l’une des rares
passions à unir jeunes et vieux, pauvres et riches. La table est un élément
indispensable du procédé de socialisation au sein de la Phalange. Ce sont par
exemple les cabales gastronomiques qui les premières conduiront les enfants à
rallier telle ou telle série passionnée. Leurs conseillers et collaborateurs
pour l’occasion seront souvent les membres les plus âgés de la Phalange.
La cuisine tient une place tellement fondamentale dans
l’organisation de la Phalange que Fourier prévoit le jour où les guerres de la
civilisation se changeront en concours de cuisine internationaux. S’emparant de
l’idée de « jury dégustateur » émise par Grimod de la Reynière, Fourier prône
l’organisation de concours permettant d’apprécier les mérites de telle ou telle
recette et de développer l’art de la cuisine adaptée aux 810 types passionnels.
Car la gastrosophie est un art autant qu’une science ; et la cuisine est un
facteur tellement essentiel de stimulation des passions, et de liaison entre
les séries, qu’un concile œcuménique se réunira périodiquement
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