Fourier
truchement de leurs
membres les plus cultivés appelés « sibylles ». Il arrive que ceux-ci prennent
à l’écart quelques enfants pour une démonstration ou une explication, mais
seulement à la demande des intéressés. C’est ainsi que l’Harmonie renverse la
traditionnelle relation maître-élève. L’élève n’y est plus un captif qui
abhorre son maître. Libre d’étudier ce que bon lui semble avec le professeur de
son choix, il « regarde comme autant d’amis, autant de sauveurs, tous ces
vieillards qui veulent bien le former à l’industrie ou à l’étude 31 ».
Les examens, en revanche, sont maintenus en Harmonie. Ils sont
obligatoires pour tout enfant qui désire passer dans un « chœur » supérieur, ou
même simplement monter en grade dans les différents groupes de travail dont il
ou elle fait partie. Selon Fourier, la fréquence même des examens et la variété
des groupes dont un même enfant sera membre auront pour effet d’atténuer cette
peur de l’échec qui hante le système d’éducation traditionnel. Les revers, par
ailleurs, seront rares étant donné la vivacité et la motivation des jeunes
harmoniens. Fourier précise cependant que les enfants échouant régulièrement à
leurs examens se verront finalement relégués dans des chœurs « de
demi-caractère », Ces enfants-là ne semblent pas bénéficier de la compassion
que Fourier étend si volontiers à la plupart des marginaux et des rebelles. Au
moins son système d’examens empêchera-t-il les parents de se méprendre sur les
capacités réelles de leur progéniture ou de « prôner comme à présent la gentillesse
d’un petit sot 32 ».
V
Fourier n’est guère cité dans les traditionnelles histoires de
la pédagogie, et il semble qu’il n’ait pas eu grande influence directe sur les
théoriciens du XXe siècle. Il faut revenir au XIXe siècle (à Jean Macé, au
mouvement d’éducation populaire en France et aux fondateurs de l’école
maternelle) pour trouver dans certaines pratiques pédagogiques des traces
significatives de sa pensée 33 . Or,
si l’on considère l’ensemble des écrits de Fourier sur l’éducation, l’on ne
peut manquer d’être impressionné par sa modernité, et par la façon dont ses
idées anticipent à bien des égards celles d’éducateurs modernes tels que Maria
Montessori, A. S. Neill et les fondateurs des kibboutzim en Israël. Il est vrai
que son rejet de la sexualité infantile et tout son programme d’éducation
sexuelle paraissent curieusement traditionnels pour un penseur qui, à bien
d’autres égards, peut être comparé à Wilhelm Reich. C’est semble-t-il sans
ironie que Fourier propose de cacher aux enfants la vue des chiens et chats en
rut, ou recommande, en vue de retarder la puberté, la pratique régulière de la
gymnastique 34 . Dans son apparente
crainte de la sexualité adolescente et de la libido infantile, le prophète du
nouveau monde amoureux est presque victorien.
Mais, sur de nombreux autres points, sa théorie annonce
l’avenir. L’on peut voir en Fourier l’un des premiers défenseurs de la « classe
ouverte », puisqu’il rejette l’institution scolaire et remplace la salle de
classe, ce « point focal de l’ennui et de la discipline imposée », par «
l’arène bien plus vaste et intéressante de la Phalange toute entière 35 . » L’idée des petits ateliers, où
l’enfant acquiert une certaine dextérité manuelle et découvre sa vocation, fait
de lui un précurseur de Maria Montessori. Son projet d’élever les enfants en
communauté rappelle tout à fait les kibboutzim d’Israël 36 . Quant à la volonté de limiter l’usage
des livres à ceux qui le recherchent activement, elle fait partie d’une longue
tradition, de Rousseau à A. S. Neill.
Les points de convergence entre les idées de Fourier et celles
qui furent mises en pratique par Neill dans sa fameuse école de Summerhill sont
particulièrement nets 37 . Neill et
Fourier stipulent tous deux que les enfants doivent être tout à fait libres de
choisir leur activité. Ils sont également convaincus que le savoir ne saurait
faire l’objet d’un gavage et que, s’ils ne sont pas constamment contrecarrés,
les enfants, de leur propre initiative, développeront à fond leurs talents.
Comme Fourier, Neill pense que les instincts agressifs et rebelles de l’enfant
peuvent trouver dans le jeu et même le travail un exutoire inoffensif. Reste
tout de même une différence
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