Fourier

- les Petites Hordes les appellent « les anges
rebelles de Satan ». Mais ils tentent de compenser leur chute en faisant montre
d’un grand raffinement et d’une grande délicatesse en amour. On les encourage à
rester fidèles à leurs premières amours le plus longtemps possible. Et dans le
Traité de l'association Fourier précise que tout Damoiseau qui se déshonore par
sa conduite lors de sa première affaire de cœur sera jugé indigne et expulsé du
corps. Dans le Nouveau Monde amoureux, qui ne fut pas publié, il adopte une
attitude beaucoup plus tolérante :
    Il est d’usage que les Damoiselles et Damoiseaux
observent la fidélité jusqu’à l’âge de 20 ans révolus. Mais comme tout se règle
par gradation dans l’harmonie et qu’il serait bien difficile pour ne pas dire
impossible de se conserver une fidélité réciproque pendant 4 à 5 ans, le code
amoureux établit des exceptions graduées sur la fidélité. Ainsi on n’est déchu
du Damoisellat qu’après 3 infidélités et une inconstance ou bien après 7
infidélités sans inconstance.
    La faute n’est comptée que pour moitié si elle a lieu avec des
prêtres ou prêtresses qui ont toujours double chance en code amoureux : - Ainsi
une Damoiselle peut commettre 14 infidélités avec des prêtres et ne sera déchue
qu’à la 15e tandis qu’elle sera déchue à la 8e infidélité avec des laïcs 27 .
    Ce texte, dans sa parodie ironiquement pédante du système
catholique des indulgences, rend toute relative la contrainte de fidélité
imposée aux Damoiseaux et atteste qu’une fois entrés dans ce groupe, ils font
déjà partie du « nouveau monde amoureux ».
    Le Nouveau Monde amoureux n’est pas connu des lecteurs
contemporains de Fourier. Mais les quelques pages sur la sexualité adolescente
que contiennent ses œuvres publiées suffisent à en offenser un grand nombre. On
accuse Fourier de préconiser la promiscuité et de prôner une totale licence
sexuelle chez les enfants. Comme le suggère Victor Hennequin en 1849, « le mot
qu’on lisait autrefois sur un palais de Ferrare, Orgia, devrait être écrit sur
le fronton de son phalanstère 28 ».
A mieux y regarder, ce qui frappe dans les théories de Fourier sur l’éducation
sexuelle, ce n’est pas l’audace mais bel et bien le caractère conventionnel et
prudent de sa pensée. Il n’envisage pas l’existence d’une sexualité infantile
avant la puberté, et tout, dans les statuts de sa Phalange, concourt à retarder
l’éveil de la curiosité sexuelle chez les jeunes adolescents. Tous les enfants
de la Phalange sont couchés avant les sessions de la Cour d’amour et leur vie
est organisée de telle façon qu’ils ne soient jamais exposés à la vue de chiens
ou de chats en rut 29 . En fait, si
l’on adopte les critères de la civilisation du XXe siècle, les enfants harmoniens
sont maintenus dans un extraordinaire état d’innocence.

IV
    Les principes éducatifs de Fourier visent d’abord à enrichir la
vie émotionnelle et morale des enfants de neuf à vingt ans, à développer et à
canaliser les passions qu’ils portent en germe : amitié, ambition, puis amour.
Mais qu’en est-il de l’évolution proprement intellectuelle ? Comment Fourier
envisage-t-il les progrès de l’esprit ? Un premier point : le savoir livresque
n’est pas particulièrement encouragé dans le nouveau monde de Fourier. Il donne
bien dans ses œuvres quelques précisions sur les manuels de référence et les
systèmes typographiques qu’il faudra employer en Harmonie ; il se plaît à
imaginer les lourdes éditions critiques et « contre-gloses » que publiera la
Phalange des classiques de la littérature et de la philosophie pour les
amateurs d’« archéologie sociale burlesque 30 ».
Mais, en général, Fourier juge que l’efficacité des livres dépend avant tout de
la curiosité de l’enfant pour le savoir qu’ils renferment. En Harmonie, comme à
Summerhill, chez A. S. Neill, les livres ne sont jamais imposés aux enfants :
ils sont simplement disponibles, en réponse aux questions nées du jeu et du
travail.
    Le progrès intellectuel étant intimement lié à l’expérience
pratique, aucun espace particulier n’est réservé à l’éducation dans la
Phalange. Il n’existe pas à proprement parler d’écoles ou de salles de classe,
pas plus qu’il n’y a un corps spécialisé de professeurs. La transmission du
savoir s’opère au sein des différents groupes par le