Fourier

rémunération. Selon le
dispositif conçu par Fourier, chaque Harmonien reçoit un dividende annuel
correspondant à « ses trois facultés industrielles, travail, capital, talent ».
Ce dividende est d’abord alloué à chaque série, en fonction non de la
productivité, mais de l’attrait, de l’utilité et de la « nécessité » du travail
accompli. Les tâches essentielles mais répugnantes comme le curage des égouts,
la triperie et la garde des enfants turbulents sont en général bien rétribuées,
à la différence de l’arboriculture qui plaît à tout un chacun. Bien entendu, un
certain nombre d’occupations totalement superflues aux yeux du monde civilisé
acquièrent une importance de tout premier ordre en Harmonie. Les soins
constants et délicats qu’exige la floriculture constituent pour les enfants une
« précieuse » initiation à la science de l’agronomie. De même, la valeur
pédagogique de l’opéra le place « au deuxième ordre de nécessité, immédiatement
après les [fonctions] répugnantes ». Les dividendes versés à chaque série sont
redistribués entre les différents membres selon la formule suivante : cinq
douzièmes pour une contribution sous forme de travail, quatre douzièmes pour le
capital, et trois douzièmes pour le talent. Cette part du talent revient aux
plus habiles et expérimentés, tandis que la part du capital est reversée à ceux
qui ont contribué financièrement ou investi dans la série une partie de leurs
bénéfices 12 .
    La théorie du travail attrayant se veut le moyen de mettre en
évidence et d’exploiter une prédisposition au travail dont Fourier pense
qu’elle est inhérente à la psychologie humaine. Elle doit d’autre part
permettre d’assurer l’assouvissement de toutes les passions, notamment
mécanisantes, dans et par le travail : conformément aux exigences de la passion
dite Papillonne, les sessions de travail ne dureront jamais plus de deux
heures, et personne ne sera attaché à une tâche particulière. La Cabaliste ou
esprit de parti se nourrira des intrigues et rivalités qui ne manqueront pas de
se nouer au sein des divers groupes et séries, et ces rivalités à leur tour
inciteront chaque groupe à parfaire son produit. Ce nouveau type de conflit, et
c’est là la grande nouveauté, n’est plus centré autour des personnes : chaque
Phalanstérien étant membre de trente séries au bas mot (et actif dans sept ou
huit d’entre elles au cours d’une même journée), il arrivera fréquemment que
soient associés pour une activité ceux-là mêmes qui rivalisent dans une autre.
Quant à la Composite, qui naît de la satisfaction simultanée de plusieurs
plaisirs de l’âme et des sens, elle trouvera son compte dans la présence d’une
compagnie gracieuse et amicale et un orgueil partagé pour l’excellence des
travaux et produits d’une série.
    Plutôt que de s’atteler jour après jour, des heures durant, à la
même laborieuse besogne, les Harmoniens de Fourier travailleront dans un cadre
idyllique à des tâches librement choisies qui leur permettront de nouer des
liens d’amour, de cabale ou, tout simplement, d’amitié avec de nombreux autres
membres de la communauté. Cette pluralité d’occupations entraînant un cortège
de plaisirs variés, la journée de travail, longue épreuve du monde civilisé,
paraîtra trop courte aux Harmoniens tels que les imagine Fourier : Lucas est un
pauvre villageois enrôlé dans une Phalange d’essai aux débuts de l’Harmonie :
     
    JOURNEE DE LUCAS AU MOIS
DE JUIN 13

    heures
    à 3 1/2 lever, préparatifs
    à 4   séance à un groupe des
écuries
    à 5   à un groupe de jardiniers
    à 7   le déjeuné
    à 7 1/2 au groupe des faucheurs
    à 9 1/2 au groupe des légumistes sous tente
    à 11   à la série des étables
    à 1   LE DINÉ
    à 2   à la série des silvains
    à 4   à un groupe de manufacture
    à 6   à la série d’arrosage
    à 8   à la bourse
    à 8 1/2 le souper
    à 9   fréquentation amusante
    à 10   le coucher

    Mondor, lui, est un riche Phalanstérien à
l’apogée de l’Harmonie :
     
    JOURNÉE DE MONDOR EN ETE 14

    heures sommeil de 10 1/2 du soir à 3 h
du matin
    à 3 1/2 lever, préparatifs
    à 4   Cour du lever public, chronique de
la nuit
    à 4 1/2 le Délité, 1er repas suivi de la
parade industrielle
    à 5 1/2 séance au groupe de la chasse
    à 7   au groupe de la pêche
    à 8   le Déjeuné, les gazettes
    à 9