Fourier

puisse offrir la vie.

II
    Travail et agrément devraient ne faire qu’un. Le moyen de les
concilier ? La grande découverte que Fourier baptise « théorie du travail
attrayant » : il suffit d’organiser le travail de façon qu’aucune des tâches nécessaires
à la bonne marche de la société ne manque de provoquer le zèle et
l’enthousiasme d’un minimum de Phalanstériens. Un certain nombre de conditions
de base sont pour cela requises :

    1.  Que chaque travailleur soit
associé, rétribué par dividende et non pas salarié.
    2.  Que chacun, homme, femme ou enfant,
soit rétribué en proportion des trois facultés, capital, travail et talent.
    3.  Que les séances industrielles
soient variées environ huit fois par jour, l’enthousiasme ne pouvant se
soutenir plus d’une heure et demie ou deux heures dans l’exercice d’une
fonction agricole ou manufacturière.
    4.  Qu’elles soient exercées avec des
compagnies d’amis spontanément réunis, intrigués et stimulés par des rivalités
très-actives.
    5.  Que les ateliers et cultures
présentent à l’ouvrier les appâts de l’élégance et de la propreté.
    6.  Que la division du travail soit
portée au suprême degré, afin d’affecter chaque sexe et chaque âge aux
fonctions qui lui sont convenables.
    7.  Que dans cette distribution chacun,
homme, femme ou enfant, jouisse pleinement du droit au travail ou droit
d’intervenir dans tous les temps à telle branche de travail qu’il lui
conviendra de choisir, sauf à justifier de probité et aptitude.
    X.  Enfin, que le peuple jouisse, dans ce nouvel ordre,
d’une garantie de bien-être, d’un minimum suffisant pour le temps présent et
avenir, et que cette garantie le délivre de toute inquiétude pour lui et les
siens 9 .

    Certains réformateurs et radicaux contemporains font figurer
l’une ou l’autre de ces clauses dans leurs projets d’organisation du travail.
La commutation du salaire en un système de dividendes et de répartition du
profit, par exemple, trouve un écho chez bon nombre de porte-parole du
mouvement coopératif des producteurs. Et si Fourier attache une grande
importance à la propreté, voire à l’harmonie des ateliers de travail, des
champs et des jardins, il ne fait pas preuve en cela d’une grande originalité.
Les autres stipulations en revanche lui sont propres et constituent le noyau de
sa théorie du travail.
    L’attrait du travail reposerait selon lui sur un choix autonome
d’activités fréquemment renouvelées et menées au sein de groupes spontanément
constitués où les passions ont libre cours ; sur l’adoption d’un système de
rémunération qui prenne en compte la tâche accomplie, le capital fourni et le
talent. Enfin et surtout, sur la garantie pour tous les membres de la
communauté, qu’ils soient ou non enclins à l’ouvrage, d’un certain minimum
vital. Ce dernier point est capital, car ce n’est qu’une fois libérés de toute
obligation qu’hommes et femmes seront psychologiquement susceptibles de se
plaire au travail.
    Une première mesure consiste donc à répartir les différentes
activités selon des « séries passionnées » : ce sont, comme nous l’avons vu,
des « ligue[s] de divers groupes », hiérarchiquement ordonnés et « réunis
passionnément par identité de goût pour quelque fonction 10 ». Chacun des groupes d’une série se
spécialise dans un domaine précis de l’activité envisagée ou dans l’exploitation
d’un seul produit agricole. La série des amateurs de fleurs, par exemple, se
divisera en plusieurs groupes s’occupant respectivement des roses, des
camélias, des dahlias, des violettes et des orchidées. S’il suscite beaucoup
d’intérêt, le groupe des roses pourra lui-même se constituer en série et se
subdiviser. L’exemple récurrent des cultivateurs de poires montre à quel point
une série peut être complexe et nuancée 11 :

    Ne nous méprenons pas, une série ne procède pas d’une quelconque
communauté insipide de goûts et de caractères ; elle ne saurait au contraire
fonctionner pleinement sans l’entretien entre ses divers membres d’une certaine
discorde de bon aloi. La variété et l’inégalité y sont donc essentielles :
chaque série doit être composée « de personnes inégales en tous sens, en âges,
fortunes, caractères, lumières, etc. ». Comme en musique, contraste et
diversité concourent à l’harmonie.
    Autre élément primordial : le système de