Fourier
lettre
courroucée lui annonçant que bientôt ceux qui s’étaient moqués de Fourier
paraîtraient plus idiots que quiconque « depuis la création du monde ». Cité
par Gazier, « Le Bisontin Just Muiron (1787-1881) », 12.
L’une des premières catéchumènes est une jeune veuve, Clarisse
Vigoureux, issue d’une famille de riches maîtres des forges, à qui Muiron a
présenté les idées de Fourier en 1821. La mort de son mari, en 1817, l’a
laissée, à vingt-huit ans, mère de trois jeunes enfants et à la tête d’une
belle fortune ; au fil des années, elle en consacrera une grande partie au
mouvement fouriériste. Digne, réservée, elle place très haut son idéal moral et
sera l’un des « principaux artisans » de la « purification morale » de la
doctrine que pratiqueront les disciples après la mort de Fourier 7 .
Victor Considerant, futur chef de file du mouvement fouriériste,
fait également partie des premiers disciples bisontins. Né à Salins dans le
Jura en 1808, il a tout juste dix-sept ans lorsque Just Muiron et Clarisse
Vigoureux lui exposent la théorie sociétaire. Venu à Besançon pour préparer
l’École polytechnique, il se retrouve dans l’ancien lycée de Fourier, le
Collège royal de Besançon. L’un de ses amis, Paul, se trouve être le fils de
Clarisse Vigoureux, et c’est par leur truchement qu’il fait la connaissance de
Just Muiron et du petit cercle des fouriéristes bisontins. Doué d’un esprit
brillant et d’une personnalité ouverte, Considerant se lie très vite d’amitié
avec ses aînés, dont il dévore la bibliothèque. Au printemps 1826, il est déjà
suffisamment versé dans la doctrine pour instruire Paul sur les « preuves » du
Traité de l’association 8 . A
l’automne, il est admis à l’École polytechnique et lorsqu’en novembre il gagne
Paris, les Quatre Mouvements et le Traité font partie de ses bagages.
Durant ses années d’École, Considerant rend souvent visite à
Fourier, travaille à maîtriser parfaitement sa doctrine, et discute constamment
de ses idées avec ses camarades. Just Muiron, lors d’un passage à Paris en
1827, s’émerveille de l’énergie et de la vivacité d’esprit du jeune homme : «
Victor est superbe », écrit-il à Clarisse Vigoureux. « Je lui trouve un
embonpoint, une fraîcheur, une vivacité d’esprit, un élan d’âme avec lesquels
il peut fort bien faire bon chemin, tout en y rongeant le frein, comme il dit 9 . » Considerant se rebiffe souvent contre
la somme de travail et les « sots règlements » imposés par son école 10 . Mais il est bientôt très proche de
Fourier, dont il parle avec admiration et une tendresse toute filiale : «
Présentez à monsieur Fourier mes hommages les plus dignes de son génie, et
dites-moi ce qu’il vous apprendra d’intéressant. Ah, si je me trouvais encore
en Franche-Comté, que je serais content. Je crois qu’il serait obligé de
traiter son disciple à coups de bâton comme faisait cet ancien grec;
heureusement il ne pousse pas la philosophie si loin », écrit-il à Clarisse
Vigoureux lors d’un séjour de Fourier à Besançon.
Seul disciple véritablement doué à émerger du groupe de
Besançon, Victor Considerant n’est pas un penseur original, mais un
organisateur talentueux et un publicitaire de génie. A sa sortie de
Polytechnique, il est envoyé à l’École d’application de Metz pour finir de
préparer une carrière d’ingénieur militaire : très vite, il convertit certains
officiers au fouriérisme. Quelques années plus tard, à vingt-six ans, il
publiera le premier volume d’un ouvrage intitulé La Destinée sociale, qui
constituera, pour le XIXe siècle, la vulgarisation du fouriérisme la plus
efficace 11 . Mais à la fin de la
Restauration, alors que Fourier travaille à son Abrégé, ces temps sont encore
loin : dans l’immédiat, il s’agit pour Fourier et ses disciples de publier le
livre et de trouver un bienfaiteur.
I
Du début de l’année 1825 à la fin de l’année 1828, Fourier ne
lève le nez de son Abrégé que pour céder de temps à autre à la nécessité de
gagner sa vie ou pour poursuivre son inlassable quête d’un fondateur. La
correspondance avec Muiron permet de suivre les métamorphoses de l’ouvrage qui
deviendra Le Nouveau Monde industriel 12 : à la fin de l’année 1824, Fourier dispose d’un plan détaillé de l’ensemble ;
en avril 1825, il a terminé quatorze chapitres sur trente-six. Mais
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