Fourier
commencent à faire des adeptes en
province. Il ne s’agit pas encore d’un quelconque mouvement fouriériste, dont l’essor
véritable devra attendre le climat plus tolérant de la monarchie de Juillet.
Cependant, dans les années 1820, un certain nombre de personnes, qui, comme
Muiron, ont découvert les écrits de Fourier plus ou moins par hasard, en sont
venues à les considérer comme textes sacrés et se sont proclamées ses
disciples. Autant que l’on puisse en juger par leur correspondance
(soigneusement conservée par Fourier), ceux-ci ne sont pas plus dégourdis que
Just Muiron. De classe et souvent d’âge moyens (qu’ils soient riches rentiers
comme Gabriel Gabet à Dijon, ou fonctionnaires du gouvernement comme Muiron
lui-même ou encore Jean-Antoine Godin, notaire et juge de paix à Champagnole 1 ), ils sont sensibles au respect de Fourier
pour la propriété privée et à sa conviction profonde que les maux de la société
ont une solution pacifique.
L’un d’entre eux, Gabriel Gabet, est un homme assez âgé,
propriétaire à Dijon; ardent républicain en 1792, il a été officier municipal
pendant la Révolution 2 . Sa
réputation de progressiste à Dijon ne l’empêchera pas de se rallier à Louis
XVIII, ni d’accroître sous la Restauration une fortune déjà considérable. C’est
en 1824 qu’il découvre Fourier en lisant le Traité de l'association. Aussitôt
il entame avec lui une correspondance qui ne cessera qu’à la mort du maître. On
a perdu trace des lettres de Fourier, mais la plupart de celles de Gabet sont
intactes : véritable collection de questions théoriques, d’offres de soutien,
d’encouragements et de conseils spontanés, elles révèlent en la personne de
Gabet un prosélyte dévoué sinon efficace.
Après vous, il n’y a peut-être personne en France qui
prenne autant d’intérêt que moi à votre sublime entreprise. Elle est l’unique
objet de mes méditations, de mes conversations. J’en parle à tout le monde,
j’en deviens fatiguant pour ceux qui n’ont pas mon enthousiasme, et personne ne
peut l’avoir 3 .
Gabet se vante même d’avoir soumis ses nombreux enfants à un «
cours oral » de fouriérisme. Mais toutes ses bonnes intentions ne donneront
corps qu’à une poignée d’articles sur la théorie sociétaire dans le Journal
politique et littéraire de la Côte-d’Or. L’influence de Gabet à Dijon était
semble-t-il restreinte, et son exemple assez caractéristique des limites des
premiers disciples égaillés aux quatre coins du pays.
Jusqu’à la Révolution de 1830, Just Muiron reste le seul
zélateur un tant soit peu efficace. C’est un homme prudent, aux talents
limités. Ses efforts de prosélytisme les plus ambitieux dans les années 1820
n’ont abouti qu’à la publication d’un petit ouvrage laborieux intitulé Sur les
vices de nos procédés industriels. Publié en 1824, le livre est censé présenter
la théorie de Fourier « dans un style plus vulgaire que celui de l’inventeur et
moins accablant pour les beaux esprits 4 ».
En fait, c’est à peine si Muiron, dans sa prudence, mentionne le nom de
Fourier, et il ne traite que d’une modeste réforme proposée dans Sommaires et
annonce du Traité : la création d’une banque d’actionnaires ruraux. Malgré
toutes ces précautions, le livre ne convainc personne et trouve moins de
lecteurs encore que ceux de Fourier. Muiron parvient bien à persuader un
universitaire bisontin de présenter l’ouvrage à l’une des réunions de
l’Académie de Besançon 5 , mais ce
dernier se montre vague et réservé. Quant aux académiciens, ils se gaussent
tant que Muiron, bien des années plus tard, se souviendra encore de leurs «
sarcasmes » et de leur « stupide arrogance 6 ».
Ce n’est pas le seul revers qu’essuie Muiron dans ses campagnes
de « prosélytisation », et plus d’une fois il sera profondément blessé par les
rires et l’ironie de ses amis à l’égard de Fourier*. Mais son obstination et
peut-être aussi la sincérité de son propre engagement lui permettent de réunir
autour des idées de Fourier un petit groupe d’une douzaine de Bisontins. Deux d’entre
eux joueront un rôle déterminant dans l’évolution du mouvement fouriériste.
* Muiron tolérait mal que l’on critiquât Fourier. Charles
Weiss, le bibliothécaire de Besançon, l’apprit à ses dépens lorsqu’il se moqua
de Fourier en présence de Muiron. Le lendemain, il recevait une
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