Fourier

Bourse parisienne 7 . Les deux hommes se sont peut-être croisés
dans la rue de Richelieu qu’ils habitaient tous deux dans les années 1820, mais
il est quasiment certain que Saint-Simon n’avait jamais entendu parler de
Fourier. Quant à Fourier, il connaissait Saint-Simon de nom (on trouve dans ses
manuscrits une allusion sarcastique à « l’économiste Saint-Simon », « le docte
avocat des marchands ») et n’avait eu vent de ses théories que de manière
rapportée 8 . La véritable histoire
des relations de Fourier avec le saint-simonisme ne commence que quatre ans
après la mort de Saint-Simon, peu avant la fondation de l’église saint-simonienne.
    Le premier contact de Fourier avec les saint-simoniens a lieu le
20 mai 1829, lorsqu’un jeune homme de sa connaissance, François de Corcelle,
l’invite à l’une des réunions bimensuelles de la rue Taranne*.
    * François de Corcelle (1802-1892) était un ami et partisan
politique de La Fayette, dont il édita les Mémoires et dont il épousa l’une des
filles. Étudiant, il avait été partisan ardent de la Charbonnerie; bien qu’il
ne se considérât pas comme saint-simonien, il avait de la sympathie pour un
mouvement qu’il considérait comme « une sorte de charbonnerie religieuse ».
Documents pour servir à l’histoire des conspirations, des partis et des sectes
(Paris, 1831), 68. Cet ouvrage, qui s’étend sur le saint-simonisme, relègue le
« plan d’association domestique et agricole » de Fourier à une simple petite
note sans parti pris (84-85n).
    Le Nouveau Monde industriel vient d’être publié et Fourier, en
acceptant de suivre Corcelle, ne va pas seulement « voir ce [qu’est] la
doctrine de ces messieurs », mais aussi « voir si on pourrait les intéresser à
la [sienne] ». Rue Taranne, il trouve une petite salle bondée, où quelque
quatre-vingts personnes assistent religieusement à une conférence sur «
l’éducation spéciale ou professionnelle ». Le lendemain, Fourier fait aussitôt
part à Muiron des diverses objections qui lui sont venues à l’esprit au cours
de la soirée :
    Si j’avais argumenté, j’aurais pu leur dire : « Comment,
avec la méthode civilisée ou division par familles, pouvez-vous empêcher que
l’enfant ne reçoive une douzaine d’éducations contradictoires, que la dernière,
la mondaine, vient détruire ? Et quant à l’éducation spéciale, comment
parviendrez-vous à mettre l’homme à la place où l’instinct l’appelle ; faire
éclore dès l’âge de 3 à 5 ans tous ses instincts industriels, étouffés souvent
dans la vie ; faire de l’homme ainsi que de la femme des industrieux robustes
et adroits, avant d’en faire des savants ; leur donner cette éducation
industrielle et sanitaire à l’âge de 3 à 5 ans, où ils ne sont bons à rien et où
on est obligé de les garder à vue pour les empêcher de faire le mal 9 ?
    Cependant, il n’est intervenu ni pendant la conférence
proprement dite, ni pendant la discussion, fort animée du reste, sur les
mérites de la confession, et ce malgré ses doutes prononcés sur l’éventualité
pour quiconque « parmi cette foule » d’entrer jamais dans un confessionnal
autrement que par « spéculation en hypocrisie ».
    Cette première rencontre avec les saint-simoniens laisse à
Fourier une impression fort négative. Il s’étonne de ce que l’on puisse «
trouver du crédit à Paris avec des doctrines aussi faibles » et prend Muiron à
témoin :
    Pour vous donner une idée de la faiblesse de leurs
dogmes, ils prétendent que feu l’économiste Saint-Simon est un inspiré de Dieu,
et qu’il y a trois Révélations, celle de Moïse, celle de Jésus-Christ et celle
de l’économiste Saint-Simon. N’est-ce pas faire des systèmes à coups de hache 10 ?
    Il trouve leurs dogmes grossiers et pitoyables et constate,
amer, que « pourtant ils ont un auditoire, des souscripteurs ». C’est cela,
surtout, qui le contrarie : la renommée et les ressources des saint-simoniens
sont immenses par rapport aux siennes.
    Fourier n’est cependant pas homme à perdre son temps quand il
s’agit de provoquer des conversions. Le lendemain de la réunion, il fait
parvenir aux saint-simoniens un exemplaire du Nouveau Monde industriel assorti
d’une lettre de quatre pages dans laquelle il demande au pape du mouvement,
Prosper Enfantin, s’il ne compte pas « changer de route ». « L’amour-propre
scientifique » va certes à l’encontre