Fourier
lance contre les saint-simoniens au printemps 1831
sous le titre de Pièges et charlatanisme des deux sectes Saint-Simon et Owen,
qui promettent l'association et le progrès.
* Voir Fourier à Muiron, 19 janvier 1831, in Pellarin,
Fourier, 113 : « Ils m’ont pillé quelques idées. Le Mercure en a parlé. Je l’ai
su par M. Monnier fils, et M. Pichot me l’a répété en me disant que c’était lui
qui avait dénoncé ce plagiat dans le Mercure. » En rééditant dans le Mercure de
France le Mnémonique géographique, Pichot avait en effet inséré la note
suivante : « M. Charles Fourier, osons le dire, est un des savants les plus
distingués de notre époque. Il n’est cependant pas de l’Institut, car il a
autant de répugnance pour l’intrigue que d’amour pour le vrai savoir. Nous nous
proposons de prouver que tout ce qu’il y a de raisonnable dans le
saint-simonisme est un plagiat fait à la découverte de l’attraction passionnée
de M. Charles Fourier. » Le Mercure de France au XIXe siècle, XXXI (27 novembre
1830), 453. L’accusation sera réitérée dans le Mercure en janvier 1831 mais
sans aucune preuve pour l’étayer.
Fourier était certes enclin à voir partout des plagiaires
avec ce que Victor Considerant appelle une « manie d’avare ». Mais il n’avait
peut-être pas tout à fait tort au sujet des saint-simoniens : la pensée de
Prosper Enfantin sur la réhabilitation de la chair et l’émancipation des femmes
semble dériver de celle de Fourier. On trouvera de plus amples réflexions sur
ce sujet dans Louvancour, De Saint-Simon à Fourier, 146-170, et dans Thibert,
Le Féminisme dans le socialisme français, 31-39.
Le pamphlet, beaucoup plus virulent contre les saint-simoniens
que contre les owenistes, n’est guère qu’une litanie de jurons et le résumé
qu’en fait Fourier dans une lettre à Muiron parle de lui-même :
J’expose fort gaiement, dans un court préambule,
l’absurdité de leurs deux bases, Théocratie et Main-morte, et le charlatanisme
de leur manière ampoulée. Ensuite j’en viens à leur plagiat... Avant de
disséquer leur théorie et leur tactique, j’ai employé trois articles à faire
connaître en abrégé les deux sciences qu’ils veulent m’enlever... Ensuite
j’examine leurs astuces 20 ...
Si l’on doit accorder une quelconque importance à ce pamphlet,
elle tient plus à la rhétorique flamboyante qu’à la teneur des arguments.
Fourier parvient à y traiter les saint-simoniens de « charlatans ascétiques »,
de « caméléons spéculatifs », de « saltimbanques philanthropiques », de «
captateurs d’hoiries et de patrimoines », et autres « cosaques scientifiques
pillant et travestissant les idées d’autrui ».
Toute sa vie, Fourier se sera fait des illusions sur ses talents
de polémiste, mais jamais, peut-être, il n’aura été aussi loin de la réalité
qu’avec Pièges et charlatanisme : il est apparemment persuadé que son pamphlet
porte un « coup fatal » aux saint-simoniens et peut lui permettre de trouver un
fondateur. Il compte l’offrir à « ceux dont je rechercherai la protection, et
d’abord le Roi et deux ou trois ministres ». Or ses attaques d’une rare
violence et sa rhétorique extravagante lui auraient sans doute attiré plus
d’ennuis que de bénéfices s’il s’était trouvé des lecteurs pour les relever.
Heureusement pour Fourier, Pièges et charlatanisme passe inaperçu, même des
saint-simoniens. Leur journal Le Globe se contente d’une courte allusion
dédaigneuse, le saint-simonien Saint-Lambert l’évoque en passant dans une
conférence consacrée à Fourier, et l’on s’en tient là 21 . Quant aux propres disciples de Fourier,
ils sont plutôt embarrassés. Muiron, persuadé que ces « sorties virulentes » et
ces « déchirantes invectives » n’ont d’autre effet que de provoquer la fuite
d’éventuels candidats à la conversion, déplore amèrement la tendance de son
maître à « voir des ennemis dans tous les hommes ». Un autre disciple dira plus
tard du pamphlet que « la bile et le fiel semblaient y découler plus que
l’indignation honnête et pure 22 ».
Fourier se défend d’avoir proféré autre chose que la simple
vérité et s’en explique à Muiron le 18 juillet 1831 :
Vous dites qu’ils sont repoussés par mes déchirantes
invectives. Qu’y a-t-il de déchirant d’entendre dire qu’on se trompe depuis 3
000 ans ; que ce n’est pas dans des réformes
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