Fourier
les
bénéfices. Mais le travail y conserverait cet aspect « répugnant et abrutissant
[...] d’uniformité monastico-chrétienne qui est aujourd’hui le caractère
général de tous les travaux industriels ». Les saint-simoniens n’ont su
résoudre le problème de l’attrait du travail industriel. Et malgré les
déclarations d’Enfantin, ils ne se sont pas véritablement penchés sur la
question du rôle des femmes dans la société moderne : Enfantin a beau prêcher
l’égalité des sexes, il se contente, aux dernières nouvelles, d’attendre
l’arrivée du Messie féminin avant de permettre à ses disciples de transgresser
les limites de la morale conventionnelle. Pour sa part, Transon est prêt à
accepter la conséquence logique de la nouvelle position d’Enfantin, à savoir
l’émancipation immédiate de la chair comme de l’esprit. Mais Fourier n’est-il
pas le précurseur d’Enfantin en ce domaine ? La réhabilitation des passions et
la doctrine du travail attrayant lui ont permis, selon Transon, de mettre au
point un système d’association qui, sans déroger à la théorie saint-simonienne,
présente l’avantage d’être réalisable. En conclusion, Transon exhorte Enfantin
et ses collègues à rallier le mouvement fouriériste.
Plutôt qu’un résumé de la doctrine de Fourier, le Simple Écrit
de Transon est une démonstration de l’adéquation de la solution fouriériste aux
buts saint-simoniens. En tant que tel, c’est un remarquable outil de
propagande. Certes, il ne convainc pas Enfantin de fonder une Phalange, mais il
attire l’attention des saint-simoniens et, semble-t-il, contribue à susciter un
certain nombre de conversions 41 .
Transon ne s’arrête pas là : en février et en mai 1832, il fait paraître dans
la Revue encyclopédique de Pierre Leroux et Jean Reynaud deux articles
d’envergure sur le fouriérisme, dont l’« Exposition succincte de la théorie
sociétaire », qui suscite un débat généralisé, et que Fourier lui-même
considère comme le meilleur résumé concis de sa doctrine jamais écrit par un
disciple 42 .
La contribution de Jules Lechevalier est plus grande encore.
Quelques jours après sa conversion, il frappe déjà aux portes des journaux en
quête de publicité. Le 28 janvier 1832, il doit avouer à Fourier que Jacques
Coste, l’éditeur du Temps, a éclaté de rire en s’entendant demander de recruter
« quelques actionnaires » pour fonder une Phalange. Mais dans la même lettre,
Lechevalier annonce son intention de donner aux saint-simoniens des conférences
sur le fouriérisme : « Ils sont tous fort avides de l’entendre. Le Père Suprême
est, je crois, embarrassé de ce petit obstacle que nous allons lui mettre entre
les jambes, mais comme ce n’est pas l’adresse qui lui manque, il fait semblant
d’être parfaitement content et m’offre un local. » Ne voulant pas « donner dans
le piège », Lechevalier trouve sa propre salle rue Colombier 43 . En contact étroit avec Fourier, il
discute à l’avance avec lui de chaque conférence.
Je ne ferai rien sans votre agrément et vos conseils, et
j’ai le plus vif désir de causer avec vous quelques instants. Je vous serais
bien reconnaissant si vous aviez la bonté de venir demain : je ne sortirai pas
de toute la matinée. J’ai copié votre tableau du progrès passé et à venir qui
sera de la plus grande utilité pour le cours. Je vous serais bien obligé si
vous vouliez bien me confier le tableau qui représente les divers ralliements.
Je ne doute pas, Monsieur, que d’ici un mois nous ne soyons en état de bien
marcher.
Je crois que vous approuverez mon idée de ne donner vos
principes généraux et votre synthèse universelle que superficiellement : il sera
meilleur de n’aborder cette partie ardue que dans une autre série de leçons.
J’avoue d’ailleurs que sur ce point je ne suis pas aussi ferme que sur les
autres 44 .
Lechevalier a prévu une douzaine de leçons, mais l’épidémie de
choléra atteint de telles proportions à Paris, fin mars, qu’il est obligé de
conclure prématurément. Cependant, les cinq conférences qui ont effectivement
lieu sont suivies et appréciées d’un vaste public. Fourier lui-même est présent
pour répondre aux questions et faire part de ses propres remarques. Un jour,
ses commentaires sur les saint-simoniens dépassent les bornes au goût de
Lechevalier, qui intervient : « J’ai besoin de vous dire », explique-t-il à
Weitere Kostenlose Bücher