Fourier
son
public au début de la troisième séance, le 26 février, « que je suis loin d’accepter
les opinions de M. Fourier touchant les doctrines ou les hommes du
saint-simonisme. [...] La position de M. Fourier n’est point la même que la
mienne. Il est, il veut rester, un homme sui generis 45 . »
Malgré ces petits incidents, les leçons ont un tel succès que
l’on convient de les publier sous forme de brochures à faire circuler parmi les
disciples provinciaux et autres personnes intéressées. Peu après, les cinq
brochures sont publiées ensemble sous le titre Cinq Leçons sur l'art
d’associer, ou Réfutation du saint-simonisme au moyen de la théorie sociétaire
de Charles Fourier 46 .
Les disciples provinciaux sont enchantés. Gabet, à Lyon, et le
cercle de Muiron, à Besançon, se disent très favorablement impressionnés. « La
première livraison de Jules Lechevalier m’est parvenue hier », écrit Muiron à
Clarisse Vigoureux le 1er mars 1832. « On ne peut mieux dire et mieux faire.
J’ai été enchanté : je suis content même de ses réserves, de ce qu’il ne se
présente point comme admettant tout. Il est bien positivement dans la bonne
voie. Il écrit à ravir. » Dix jours plus tard, Muiron ajoute que les
conférences « font des merveilles » et le 11 mars L'Impartial (l’article est
sûrement de Muiron) informe ses lecteurs que « les amateurs de pensées neuves,
lumineuses et fécondes en immenses résultats, les personnes qui aiment un style
élégant, pur, attachant comme celui de nos meilleurs écrivains, liront avec
charme les Leçons sur l'art d'associer 47 ».
Appréciées des fouriéristes de longue date, les Cinq Leçons de
Lechevalier touchent également un certain nombre de ses anciens confrères
saint-simoniens. D’après Charles Pellarin, qui abandonne la retraite
saint-simonienne de Ménilmontant pour se joindre aux fouriéristes en août 1832,
les conférences « contribuèrent beaucoup à dissiper les illusions
saint-simoniennes ». Eugénie Niboyet, féministe saint-simonienne de Lyon, fait
partie des nombreuses personnes dont l’intérêt pour le fouriérisme est en grande
partie provoqué par Lechevalier : « Fourier [...] est bien heureux d’avoir un
vulgarisateur tel que vous », lui écrit-elle en juillet 1832 : « Cela le fait
marcher à pas de géant, et je ne doute pas que vous fassiez des prosélytes
partout où vous irez faire entendre une parole dont l’esprit et le cœur sont
également satisfaits. » De Lyon toujours, le docteur Fleury Imbert, qui a été
saint-simonien pendant un temps, ne tarit pas non plus d’éloges sur le travail
de vulgarisation de Lechevalier : « Il y a dix ans en effet que la Théorie des
quatre mouvements était pour moi un sujet de rire et de plaisanterie. Grâce à
vous, j’y vois à présent un des ouvrages les plus étonnants qui soit sorti d’un
cerveau humain. Il avait besoin d’être traduit et commenté ; vous vous êtes
chargé de ce rôle ingrat et vous vous en êtes acquitté avec le talent dont vous
avez déjà donné tant de preuves 48 .
»
Si les conférences de Lechevalier rendent les idées de Fourier
accessibles et attrayantes aux yeux de beaucoup de saint-simoniens, elles
contribuent aussi à rendre Fourier respectable et à gagner l’attention d’un
public de lecteurs bourgeois. L’éditeur libéral Marc-Antoine Jullien, que
Fourier a longtemps sollicité en vain, salue lui aussi le succès de Lechevalier
: « Je connaissais depuis longtemps M. Fourier, et j’appréciais tout le mérite
de ses travaux. Mais je sentais qu’il avait besoin de s’associer des
interprètes et des propagateurs pour populariser sa doctrine, la rendre
facilement intelligible et immédiatement pratique 49 . » Éloquents aussi, les commentaires du poète Béranger,
qui, dans une note à un poème à la gloire de Fourier, attribue à Lechevalier sa
propre « découverte » du maître : « M. Jules Le Chevalier [sic], dans un cours
public, a expliqué et propagé les idées de M. C. Fourier, et sans lui peut-être
ne saurions-nous pas bien encore ce que l’inventeur avait entendu par
PHALANSTERE, GROUPE, FONCTIONS ATTRAYANTES, etc 50 .
»
Ces remarques de Béranger, Jullien et même Fleury Imbert sont
d’autant plus intéressantes que chacun des trois hommes inspire à sa manière un
certain respect, et exerce une réelle influence : Béranger en tant que poète
populaire, Jullien comme éditeur et journaliste, Imbert
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