Fourier
en sa qualité de grand
chirurgien à Lyon. Tous trois connaissaient déjà les écrits de Fourier mais ne
les avaient pas trouvés fameux. En leur présentant une version édulcorée de la
théorie, débarrassée de ses éléments les plus ésotériques et de certains
néologismes, Lechevalier a éveillé leur intérêt. Bien qu’aucun des trois ne
devienne un disciple au sens strict du terme, ils contribueront chacun à mieux
faire connaître la doctrine. Et dans un poème ironiquement intitulé « Les fous
», Béranger célébrera, pour des dizaines de milliers de lecteurs, l’œuvre de
Fourier.
Pendant vingt-trois ans, après la publication de la Théorie des
quatre mouvements, la théorie de Fourier est restée lettre morte. Ses livres
ont provoqué les rires plus que la prise de conscience. Son premier disciple,
Just Muiron, avait bien constitué un petit groupe d’adeptes à Besançon ; mais,
à l’exception de Victor Considerant, qui, au printemps 1832, en était toujours
réduit à prêcher le fouriérisme aux ingénieurs de l’École d’application de
Metz, ce sont des gens plutôt médiocres. Quant aux tentatives de publicité de
Muiron, elles sont pathétiques : elles se résument à un livre illisible sur le
comptoir communal, une discussion superficielle des idées de Fourier par les
sommités de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon,
quelques allusions discrètes glissées dans les pages du respectable Impartial,
et un grand nombre de demandes de publicité non agréées.
Le schisme saint-simonien, les conversions de Jules Lechevalier
et Abel Transon, la vulgarisation qu’ils entreprennent de la pensée de Fourier
marquent un tournant dans l’histoire du fouriérisme, tant comme doctrine que
comme mouvement social. Enfin, comme le dit Jullien, Fourier a trouvé les «
interprètes et les propagateurs » dont il avait besoin pour « populariser sa
doctrine, la rendre facilement intelligible et immédiatement pratique ».
CHAPITRE XXII
La publication d’une revue
Pour Fourier et ses disciples, les premiers mois de l’année 1832
sont placés sous le signe de l’espoir et de l’enthousiasme. La « conspiration
du silence » est enfin brisée ; les conférences et articles d’Abel Transon et
Jules Lechevalier ont familiarisé le grand public avec le fouriérisme, tout en
jouant un rôle non négligeable dans la conversion d’un certain nombre de
saint-simoniens. Les disciples de la première heure sont aux anges : à Metz,
Victor Considerant se réjouit des « charmantes » nouvelles de Paris et évoque
triomphalement le « bel avenir » qui se dessine. A Besançon, Just Muiron se
délecte de constater ceux-là mêmes qui lui avaient ri au nez recherchent
désormais sa compagnie A Dijon, Gabriel Gabet exulte : « Enfin il est arrivé,
le jour de votre gloire, écrit-il à Fourier, le moment où vos rivaux humiliés
reconnaissent la supériorité de votre génie. » Seul Fourier semble garder la
tête froide, bien qu’il laisse transparaître dans une lettre à Muiron, trois
jours après la première conférence de Lechevalier, une espérance certaine : «
Je suis à l’instant décisif. Je suis proche du dénouement 1. »
Au printemps, tout va toujours pour le mieux : la presse
parisienne publie enfin des articles favorables à Fourier et à sa doctrine 2 . Il reçoit parfois des lettres
d’encouragement des saint-simoniens qui ont lu le Simple Ecrit de Transon ou
les Cinq Leçons de Lechevalier et même quelques « professions de foi »
fouriéristes 3 . Pour la première
fois, les fouriéristes adoptent une dénomination collective, parfois «
Mouvement », le plus souvent « École sociétaire ». Les disciples comme leur
maître ont le sentiment qu’une épreuve expérimentale de la théorie est
maintenant possible, et que le vieux rêve de Fourier, la publication d’une
revue consacrée à l’exposé de ses idées, est en passe de se réaliser.
I
Depuis plusieurs années, Fourier pense qu’une revue analogue au
Globe des saint-simoniens faciliterait grandement la recherche d’un bailleur de
fonds ou, tout simplement, la vulgarisation de ses idées. Dans Le Nouveau Monde
industriel, il sollicitait déjà des subventions pour la création d’un tel
journal, et lors de ses grandes polémiques avec les saint-simoniens, il se
plaint souvent à Just Muiron de ne pouvoir, sans journal, répondre adéquatement
aux calomnies de ses rivaux 4 .
En 1830 et
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