Fourier
dire
que Le Phalanstère est « indigestible » : s’il est digne d’être soutenu par les
disciples, il « n’aura jamais d’autres abonnés, même d’autres lecteurs, que les
disciples, les fervents disciples [...] Il ne satisfait ni la papillonne, ni la
cabaliste, ni la composite. Sa lecture est un travail qui n’a un peu d’attrait
que pour celui déjà passionné pour Le Phalanstère ». Tous les disciples ne sont
cependant pas du même avis : en juillet 1832, un certain Bertin écrit qu’il
dévore chaque numéro avec grand intérêt, et il n’est pas le seul. Mais ceux qui
pensent pouvoir utiliser le journal pour séduire de nouvelles recrues sont en
général déçus : un professeur au collège de Nevers rapporte en juillet 1832 que
ses « efforts pour procurer [aux éditeurs] des abonnés ont été jusqu’ici sans
aucun résultat. Nevers est une ville arriérée comme toutes les villes du centre
». Edouard Lanet rencontre les mêmes déboires à Bordeaux : « Ici, à Bordeaux,
quelques personnes, mais un bien petit nombre, font attention à votre journal
», écrit-il à Lechevalier 13 .
La plupart des disciples s’accordent à trouver Le Phalanstère
trop sec et exclusivement théorique. Comme le dit Lemoyne dans une lettre à
Transon :
Dans toutes les publications, sans excepter, mon cher,
votre exposition, ni celle de Considerant, les principes théoriques grandioses
prédominent sur les idées pratiques ; dans le journal même vous êtes toujours
inflexibles théoriciens, vous ne voulez faire aucune concession aux idées
vulgaires 14 .
Mais là n’est pas le seul problème : le propre rôle de Fourier
au sein du journal est source d’interrogation pour ses disciples. Son plus
vieux, son plus fidèle disciple, Just Muiron, lui-même, ne lui reconnaît guère
d’habileté lorsqu’il s’agit de rendre ses idées attrayantes, ou tout simplement
accessibles à un plus vaste public. Pour les jeunes polytechniciens venus au
fouriérisme en 1832, ce défaut est plus apparent encore. Après quelques
semaines de publication, beaucoup d’entre eux en sont arrivés à la conclusion
que les contributions de Fourier sont un handicap pour le journal. « Personne
n’est moins propre que lui à la propagation de ses propres idées », dira l’un
d’entre eux, tandis qu’un autre conseille avec la même franchise : « Qu’il soit
donc l’inspirateur du journal, mais qu’il y écrive moins qu’il ne fait 15 . »
Quels sont les principaux griefs des disciples ? Ils déplorent
les emportements chroniques de Fourier contre les saint-simoniens ; ils sont
gênés par sa tendance à égarer le lecteur dans un labyrinthe d’obscures
allusions théoriques à la terminologie étrange. « Dans le dernier numéro du
Phalanstère », écrit l’un d’entre eux à Fourier sans se nommer, « vous vous
adressez aux capitalistes, vous voulez qu’ils vous apportent leur argent... et
vous leur parlez de tribus, de chœurs, de rivalités interne et externe, de
trois sexes, de ressort simple et de ressort composé, etc., etc., etc. Pour
comprendre toutes ces choses il faut avoir lu vos ouvrages ; et vous savez bien
que les capitalistes ne les ont pas lus 16 .
» Certains lui reprochent aussi ses « extravagances » de polémiste et la «
vulgarité » du ton qu’il adopte lorsqu’il essaie, précisément, d’être moins
obscur. Nicolas Lemoyne écrit à Pellarin : « Je n’ose montrer à personne le
dernier journal à cause des articles de Fourier et cependant le journal est un
des plus remarquables. Jules s’y est surpassé. Victor et Dulary parlent
parfaitement bien. Mais la note de Fourier sur les épiciers, bien qu’on ne
puisse lui reprocher que du mauvais goût littéraire, révoltera beaucoup de
sensibilités. L’article sur la tragédie en quarante actes est une bouffonnerie
et ne convient pas à notre grave journal. Enfin quelques passages de l’article
de Fourier sont incompréhensibles pour tous autres que ses disciples 17 . »
Fourier n’a que faire de ce que Lemoyne pense de la gravité, du
style et du bon goût. Il a sa propre idée du journalisme : un article selon lui
doit être piquant, amusant, audacieux, et doit faire directement appel aux
intérêts particuliers des lecteurs 18 .
C’est pourquoi les articles du Phalanstère arborent souvent des titres
accrocheurs tels que « Les torpilles du progrès », « Quatre-vingt-cinq fermes
modèles et quatre-vingt-quatre folies », «
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