Fourier
trois compagnies, a pris
position sur le terrain de la colonie. Plus de soixante hommes y sont répandus
et exécutant des travaux préparatoires : ils creusent des tranchées
d’assainissement, coupent les bruyères dont ils enlèvent les masses ou qu’ils
brûlent sur place ; cependant que les charrues tracent des sillons sur les
pelouses et rendent à la production le sein d’une terre que la société actuelle
devrait avoir honte de laisser stérile quand elle est encombrée d’un si grand
nombre de Meurs-de-faim 24 .
En février, plus de deux cents manœuvres triment à Condé et les
rapports qui continuent de paraître régulièrement dans Le Phalanstère sont
toujours optimistes. Or, vers la fin du mois de mars, Joseph Devay se voit
obligé de publier un long démenti pour réfuter certaines « calomnies » sur la
stérilité du terrain, ainsi que des « bruits de salon », selon lesquels les
adhérents de la colonie « pratiquent le libre amour avec des bacchantes 25 ». En outre, Baudet-Dulary révèle le 15
mars que les obstacles qu’il a dû surmonter pour acquérir les terrains adjacents
à ceux de Devay l’ont empêché de soumettre avant le premier mars au
gouvernement sa demande d’autorisation pour l’ouverture d’une société anonyme :
il n’y a aucune chance que l’autorisation soit accordée avant le 21 mars, jour
prévu de l’inauguration. « Nous sommes donc forcés de reculer jusqu’au premier
mai l’ouverture de la Société », écrit Baudet-Dulary. « Mais ce retard
involontaire dans les formalités préliminaires n’en apporte aucun dans les
travaux, soit de culture, soit de construction », précise-t-il, tout en
invitant ses lecteurs à venir à Condé se rendre compte par eux-mêmes des
progrès accomplis 26 .
La décision que prend Baudet-Dulary de remettre à plus tard
l’inauguration officielle de la colonie est un coup dur pour beaucoup de
fouriéristes, et notamment pour les disciples provinciaux, qui ont exprimé leur
souhait de participer à l’expérience et n’attendent plus que le feu vert pour
aller à Condé. Leur détresse serait plus grande encore s’ils savaient ce qui se
passe réellement. Les problèmes auxquels sont confrontés Devay et Baudet-Dulary
sont bien plus graves qu’ils ne veulent bien l’admettre. Le plus pressant est
le manque de fonds : les deux hommes ont voulu créer une société par actions au
capital de 1 200 000 francs. Ils estiment leur propre participation en valeur
foncière à 280 000 francs ; reste à rassembler 900 000 francs. Or la valeur des
actions vendues entre le 1er mai 1832 et le 1er mars 1833 atteint royalement la
somme de 10 750 francs 27 .
Baudet-Dulary a dû effectuer une sévère ponction sur sa fortune personnelle
pour payer les journaliers*.
* Dans sa quête de subsides, Baudet-Dulary ne reçoit aucune
aide de l’autre riche député aux sympathies fouriéristes, qu’est Désiré-Adrien
Gréa. En juillet 1832, Gréa a écrit à Fourier pour décliner le poste
d’administrateur qui lui était réservé dans la Société de fondation. En juin,
l’année suivante, Just Muiron fait part du refus de Gréa de prêter son nom à
toute collecte de fonds pour Condé. Voir Gréa à Fourier, 11 juillet 1832, AN
10AS 25 (3), et Muiron à Clarisse Vigoureux, 9 juin 1833, AN 10AS 40 (5).
Finalement, fin mai 1833, Baudet-Dulary avoue dans Le
Phalanstère que la Colonie sociétaire est en difficulté : « L’absence d’une
organisation définitive et, par suite, l’absence des secours promis par les
actionnaires, ont nécessairement mis quelques entraves à nos premiers travaux,
et nous n’avons pu faire faire tout ce que nous avions espéré. » L’une des
causes du problème réside peut-être dans « le manque d’une direction unique ».
C’est pourquoi il a décidé, en accord avec ses associés, d’abandonner l’idée de
société anonyme et de fonder une société en commandite à directeur unique. En
tant que principal actionnaire, il en a lui-même accepté la responsabilité «
parce qu’il s’agit maintenant moins de réaliser les magnifiques promesses de la
théorie que de montrer un résultat, quelque faible qu’il soit 28 ».
Quinze jours plus tard, Le Phalanstère publie l’accord de
constitution définitif de la « première Colonie Sociétaire ». Les idées de Fourier
y sont plus édulcorées encore que dans l’acte de société provisoire de
novembre. Un commentaire de Baudet-Dulary
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