Fourier
avec brevet refusent tout simplement de s’occuper des petits
négociants, trop menu fretin pour eux, alors qu’ils tirent des bénéfices
pouvant atteindre les trente mille francs de la vente de leur charge. Cette
pétition est transmise par le ministre au préfet de Lyon, qui à son tour
sollicite l’avis de la chambre de commerce locale. Le verdict négatif que rend
cette dernière suffit à clore le dossier 39 .
Entre-temps, toutefois, Fourier est entré en scène. Au nom des
signataires de la pétition, il rédige un long mémorandum, où il enjoint le
préfet de ne pas tenir compte de l’avis de la chambre de commerce. Il commence
par y récapituler les arguments déjà exposés dans la pétition, puis enchaîne en
dénonçant la collusion entre courtiers titulaires et chambre de commerce. « Les
chambres de commerce n’ont aucun intérêt à ce qu’on réprime les abus de
courtage. Leurs membres sont tous individuellement copartageants de ces abus. »
Les membres de la chambre de commerce, jusqu’aux moins prospères, se voient
accorder facilités de crédit et traitement de faveur par les courtiers
patentés, « qui dans leur politique secrète ont pour règle principale de
ménager et de courtiser les chambres de commerce ». En fait, du jour de sa
création, la chambre de commerce de Lyon a été « amadouée très adroitement par
les agents de change et courtiers et entraînée à des démarches trop favorables
pour eux ». Fourier ne manifeste aucune surprise devant l’alacrité avec
laquelle la chambre de Lyon a pris la défense des intérêts de courtiers avec
brevet, mais, continue-t-il, ces « compagnies affiliées » feraient bien de
changer de musique.
Malgré le silence qu’a gardé dans cette conjoncture la
Chambre de Lyon, elle est dans le cas de désirer que la réforme ait lieu sans
délai, et que les doléances des négociants ne soient pas reproduites au
Ministère avec de nouveaux documents qu’on se déciderait à lui communiquer si
cette tentative restait infructueuse. D’autres mémoires mettraient en évidence
les menées secrètes de ces compagnies affiliées, le système de vexations
qu’elles exercent sur les négociants dépourvus de syndicat et autres moyens de
résistance. La révélation de ces intrigues deviendrait fâcheuse pour les
courtiers titulaires et leurs protecteurs : les pétitionnaires attendront au
dernier moment pour en venir à cette extrémité, mais malgré les efforts de
quelques personnages intéressés à assoupir leur demande, il ne la poursuivront
pas moins, et ils remettront s’il le faut au ministre un état selon lequel il
sera démontré que la Caisse d’amortissement est frustrée de Trente millions et
plus par les faux renseignements qui ont été donné aux ministres Consulaires
lors du traité passé avec les agents de change et courtiers 40 .
Les menaces et promesses de Fourier restent vaines : le préfet
ne tient pas le moindre compte de ses exhortations, et le Trésor français en
est quitte pour perdre « trente millions et plus ». Quant aux « autres mémoires
» où Fourier menace de révéler « les menées secrètes » des courtiers patentés,
on n’en trouve pas trace dans les archives. On sait néanmoins que Fourier a
préparé au moins un mémorandum sur ce sujet à la demande de ses confrères,
courtiers marrons comme lui, et que ceux-ci l’ont finalement dissuadé de le
présenter au préfet, inquiets de voir la franchise avec laquelle il y
critiquait les pratiques en cours leur faire plus de tort qu’autre chose.
Comme il écrira plus tard :
Un jour à leur sollicitation, je brouillonai un mémoire où
je dévoilais les griefs principaux contre le monopole des courtiers titulaires,
entre autres le larcin de 50 % fait à la caisse d’amortissement. A cette
lecture, ils pâlirent et s’écrièrent : « Tout est perdu si le ministre vient à
savoir cela, le métier est gâté. » Je leur observai qu’ils échoueraient tant
qu’ils se borneraient à des demi-mesures. Inutiles représentations ! La crainte
de voir leurs profits diminués les émut tellement, qu’ils n’entendirent plus
aucune objection. Je ne pus pas achever la lecture du mémoire 41 .
Incapable, à son habitude, de s’en tenir à des « demi-mesures »,
Fourier n’avait réussi qu’à scandaliser les courtiers marrons dont il
prétendait servir les intérêts.
Les papiers Fourier aux Archives nationales contiennent deux
brouillons du
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