Francesca la Trahison des Borgia
Plus tard je serais contente de pouvoir me laver, mais en cet instant cela ne me dérangeait pas de garder encore un peu l’odeur et la sensation de ses mains sur ma peau.
Refaisant les lacets de son pourpoint, il me jeta un regard qui aurait eu de quoi figer toute autre femme que moi. Il avait beau être jeune, sa fierté était déjà celle d’un homme, il n’y avait pas de doute. En aucun cas il ne se laisserait traiter à la légère, semblait-il me dire.
Cela tombait à point nommé, car moi non plus.
— Un moine des Carpates, vraiment ? lui lançai-je en tentant inutilement de me recoiffer. Au xe siècle ? Où diable es-tu allé chercher ça ?
Imaginez César, si vous le voulez bien, tout en regard limpide et sourire fourbe, niant effrontément être l’auteur d’une farce — ou plus probablement l’attribuant à son frère Juan. La tactique devait fort bien fonctionner lorsqu’il était enfant, car il la ressortait encore dès qu’il se sentait démasqué.
— De quoi parles-tu, au juste ?
— Le livre des prophéties. Cet ouvrage parfait qui relate par le menu des événements impossibles à ne pas reconnaître, tout en encourageant ton père à croire ce qui t’arrange.
J’en étais arrivée à la conclusion que ce livre était un faux alors que nous remontions des entrailles du Vatican ; c’est le temps qu’il m’avait fallu pour comprendre ce qui s’était probablement passé. Malgré leurs différences d’opinion, Borgia avait toujours reconnu la vivacité d’esprit de son fils aîné — mais il ne se doutait peut-être pas qu’il irait un jour jusqu’à inventer pareilles sornettes.
— Honnêtement, Francesca, le cynisme ne te sied point.
Je le gratifiai d’un sourire narquois.
— Et qu’as-tu inventé d’autre dans ce livre ? Quelque chose comme « Le premier-né suivra son étoile comme bon lui semblera et récompensera le taureau au centuple par son audace » ?
César était capable d’admettre sa défaite avec une grâce étonnante. D’un haussement d’épaules, il me rétorqua :
— Ma foi, c’est bien tourné. J’avoue que je n’ai pas été aussi éloquent.
Entrebâillant lentement les doubles portes du bureau, je jetai un œil dans l’antichambre : elle était vide. J’y pénétrai et me hâtai de rejoindre la porte donnant sur le couloir, César sur mes talons. L’ouvrant d’un geste vif, je fis sursauter les clercs qui s’écartèrent précipitamment sur notre passage en nous regardant bouche bée. À peine les avions-nous dépassés que j’entendis résonner les premiers claquements de langues.
Dans l’escalier de marbre, César se décida à me poser la question qui le taraudait :
— Tu ne vas pas le lui dire, n’est-ce pas ?
— Bien sûr que non, du moment que tu consens que Morozzi meure de ma main.
— C’est si important que ça, pour toi ?
Le soleil avait atteint son zénith pendant que nous étions sous terre, dans le Mysterium. Il faisait lourd à présent, et je fus saisie par cette odeur plutôt désagréable du fleuve lorsqu’il est pris de torpeur. Dehors, même les pigeons n’avaient plus la force de voler ; ils se contentaient de somnoler à l’ombre. L’entrée du Vatican était comme toujours remplie de pétitionnaires, de clercs et de prélats, tous transpirant abondamment dans leurs tenues sombres. Totalement indifférente à l’agitation que notre présence causait visiblement, je m’arrêtai brusquement et me retournai pour faire face à César.
— Ce n’est pas important, c’est vital.
Il me rendit mon regard sans sourciller.
— Morozzi ne doit pas s’échapper de nouveau. Je te donne une dernière chance mais si tu échoues, il est à moi.
Si ses paroles n’étaient pas vraiment pour me plaire, j’eus l’honnêteté d’admettre que César avait raison. Je venais de conclure le meilleur marché possible.
— D’accord. À présent je dois retourner en cuisine, mais nous devrions nous retrouver dès que possible pour discuter de notre plan.
Il me restait à espérer que pendant mon inspection des derniers arrivages en date, César n’en profiterait pas pour partir seul en quête de Morozzi. Si c’était le cas, je craignais qu’il réussisse seulement à inciter le prêtre à se retirer encore plus loin dans le labyrinthe des souterrains de Rome, ce qui compliquerait d’autant notre tâche.
— Moi aussi, j’ai à faire, m’annonça-t-il sans plus de
Weitere Kostenlose Bücher