Francesca la Trahison des Borgia
milieu.
— Arrêtez ! m’écriai-je. Nous n’avons pas de temps à perdre en enfantillages. César, pour l’amour du ciel, pose-moi par terre. Ils cherchent seulement à bien faire. Et ils se soucient autant que toi de la sécurité de ton père.
— Mais ce sont des juifs.
— Ce sont avant tout mes amis ! Et ils seraient les tiens, si tu le voulais bien.
C’était peut-être aller un peu loin, mais heureusement ni Sofia ni David ne vinrent me contredire. Encore mieux, César dut certainement se rendre compte de la folie qu’il y avait à attiser la discorde, car il s’adoucit et me reposa sur la bière.
Sofia se précipita à mes côtés. Je fus tout de suite enveloppée dans une couverture et frictionnée par ses mains chaudes, puis elle me donna à boire la tisane fortifiante, et enfin m’assaillit de questions.
— Comment est ta vision ? Est-ce que tu vois comme il faut ?
Lorsque je lui assurai que c’était le cas, elle continua.
— Remue tes doigts et tes orteils. Bien. Maintenant tourne la tête. De l’autre côté aussi. Quel jour est-on ? Qui suis-je ? Quelle est la dernière chose dont tu te souviens ? Entends-tu comme un bourdonnement dans les oreilles ? Ressens-tu un quelconque sentiment de mélancolie, ou de lassitude ? Arrives-tu à uriner ? J’aimerais bien pouvoir en examiner un échantillon, pour être sûre que…
— Assez ! À moins que tu n’aies trouvé le moyen de suspendre le temps, il faut en finir maintenant.
Elle s’interrompit. À cet instant seulement, je remarquai combien César nous observait de près. S’adressant à Sofia, il s’exclama :
— Est-ce toi qui as concocté la potion qui l’a mise dans cet état ?
Sachant pertinemment ce qu’il adviendrait si elle admettait pareille chose, je répondis aussitôt à sa place.
— Non, c’est moi qui l’ai inventée. Sofia a tenté de me dissuader, et a seulement accepté pour pouvoir être là et m’assister.
César n’était visiblement pas convaincu, mais n’était guère en mesure non plus d’interroger Sofia plus avant. En conséquence, il se tourna vers Luigi.
— Et toi, quelle est ton excuse ?
En homme sensé je crus que le banquier allait chercher à apaiser le fils du pape, mais au lieu de cela il répliqua sèchement :
— Francesca a risqué sa vie pour convaincre Morozzi que la voie était libre. Votre sincère chagrin ne peut que contribuer à rendre son décès plus crédible.
— Vous vous êtes servis de moi.
— Mais enfin il ne s’agit pas de toi, rétorquai-je, mon exaspération revenant à grands pas. Je commençais à sentir le froid du tombeau à travers la couverture, et n’avais aucune envie de m’attarder là.
Me tournant vers Sofia, je lui demandai :
— M’as-tu amené des vêtements ?
D’un geste, Sofia me montra son panier. Nous nous mîmes un peu à l’écart, et je m’habillai derrière une couverture qu’elle tendit devant moi. Les hauts-de-chausses, le pourpoint et le chapeau à large bord que je revêtis étaient en tous points la livrée d’un page au service de Luigi. Dans cette tenue je serais libre de mes mouvements, et ne risquerais pas d’attirer l’attention.
Je profitai également de l’aparté pour parler à Sofia. À voix basse, je lui dis :
— Aucun d’entre nous ne s’attendait à ce que César soit là. Il pourrait m’être utile plus tard, mais j’ai besoin d’échapper à sa vigilance un petit moment.
— Pourquoi donc ?
Lorsque je lui expliquai, elle regimba.
— Mais c’est trop dangereux. Je suis sûre que David peut…
— On ne le croirait pas, ni Benjamin. Je dois le faire moi-même.
Alors que je me trouvais entre la vie et la mort, avant de sombrer complètement, il m’était venu à l’esprit que les tragiques événements des jours derniers allaient me fournir l’occasion de m’assurer que Morozzi, qui ne s’était pas précisément montré téméraire jusqu’à présent, n’en profitait pas pour déléguer l’attaque contre Borgia à ses alliés d’Il Frateschi, et fuir sans être vu. Ce que j’omis de préciser à Sofia (même si je la soupçonne d’avoir deviné), c’est que j’avais également à m’acquitter d’une dette d’honneur.
À contrecœur, elle accepta. Me prenant par les épaules, elle me ramena auprès des autres et annonça d’une voix forte :
— Bien. Assez de cet horrible endroit ! Francesca a grand besoin d’air frais,
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