Francesca la Trahison des Borgia
j’avais lues me rendaient furieuse, mais je ne pouvais certes pas l’admettre.
— Mais enfin, dis-je d’un ton aussi léger que possible, vous savez combien César peut être versatile, parfois. Votre frère est comme le vent d’automne qui souffle en tempête et le moment d’après est déjà retombé.
En emportant dans son sillage toutes celles et ceux assez sots pour se soucier de ce qu’il pense d’eux.
— Il dit que je suis déloyale de me marier, quand notre père dit que j’y suis obligée ! Il dit que je finirai par regretter amèrement le jour où j’ai posé les yeux sur Giovanni Sforza ! Il le traite de faible, de fainéant, de… de sodomite !
Je levai les sourcils à la mention de cette dernière qualification, car c’était la première fois que j’entendais dire que le seigneur de Pesaro aimait les garçons. Je soupçonnai même César d’avoir inventé cela de toutes pièces, auquel cas c’était de la calomnie. Quant au reste… il y avait du vrai.
— Il dit même que c’est un bâtard, ajouta Lucrèce, plus calmement. Cela lui aurait-il échappé que c’est également notre cas ?
— César ne voit que ce qui l’arrange, résumai-je en me forçant à sourire. (Doucement, j’essuyai ses larmes, puis me levai et lui tendis la main.) Allez venez, vous allez vous rendre malade. Et regardez comment vous traitez toutes ces belles étoffes. Vos servantes vont passer le reste de leurs jours à essayer de les défroisser et à tamponner les traces faites avec vos larmes.
Elle se leva, et voyant le gâchis qu’elle avait causé, eut la grâce de prendre un air penaud.
— C’était bête, je sais…
Ayant dit ce que j’avais à dire, je passai à l’étape suivante en la flattant :
— N’importe qui aurait été bouleversé, à votre place. Mais vous devez comprendre, César est un homme…
En fait il aurait dix-huit ans dans quelques mois, et à mes yeux tout au moins il restait un garçon, même s’il avait su être là pour moi au moment où j’en avais eu le plus besoin. Apparemment, il était incapable d’en faire de même pour sa sœur.
— … et les hommes, continuai-je, ne sont pas à même de saisir ce que cela signifie pour une femme de se marier.
Moi non plus à vrai dire, ayant fait tout mon possible quand mon père était encore en vie pour le convaincre que je n’étais pas faite pour le mariage. Ce n’est pas que je n’apprécie pas les hommes ; ainsi que je vous l’ai déjà révélé, j’ai une faiblesse pour certains d’entre eux. Mais je chéris mon indépendance par-dessus tout, en grande partie car ce n’est qu’en maintenant une certaine distance entre moi et les autres que je peux espérer dissimuler la noirceur qui m’habite, celle qui m’a amenée à exercer ce métier pour le moins singulier.
— Il dit qu’il ne viendra pas au mariage, reprit Lucrèce en reniflant une dernière fois. Le fait qu’elle ait baissé la voix était bon signe. À présent que le pire de la crise était passé, ses dames de compagnie s’étaient insensiblement rapprochées. À n’en pas douter, elles espéraient glaner quelque remarque piquante qu’elles pourraient ensuite brandir comme un trophée et clamer à la face du monde.
— Bien sûr qu’il viendra, la rassurai-je. Nous savons toutes les deux que jamais il ne vous ferait du mal ainsi.
— Mais, et s’il faisait une scène ? demanda-t-elle en prenant un air consterné. Et s’il… attaquait Giovanni ?
Cette idée n’était pas aussi saugrenue qu’elle en avait l’air. Mais quoi que vous puissiez imaginer, ce comportement n’était pas dû à un quelconque amour contre nature entre César et Lucrèce. Oui, je sais, on a raconté des choses terribles sur eux. Mais je sais aussi que tous deux étaient incapables d’agir comme on a pu les en accuser.
Par ailleurs, je partageais suffisamment la couche de César pour être certaine qu’aucune pensée anormale envers sa sœur ne s’y était égarée.
— Il pourrait être tenté de faire quelque chose d’inconsidéré, je l’admets. Mais au bout du compte, il n’osera pas s’opposer au pape.
Me prenant par la main, elle m’emmena au jardin. Dans le même temps elle fit signe à ses dames de compagnie de rester à l’intérieur, à leur grande déception, visiblement.
Nous fîmes quelque pas sur l’une des allées de gravier passant entre des plates-bandes débordant d’œillets sauvages, de géraniums
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